mardi 7 mai 2013

Cryptanalyse d’In girum / 5



L’injonction de l’incruste finale est à prendre à la lettre. Ce n’est qu’une fois arrivé à la fin que le film commence véritablement. En effet, les dernières images d’In girum sur lesquelles apparaît : À REPRENDRE DEPUIS LE DÉBUT, sont celles d’« une grande étendue d’eau vide » ; et ce miroir, sur lequel rien ne vient se réfléchir, renvoie au « miroir glacé de l’écran » qui « fait face, en parfait contre-champ, aux spectateurs, qui ne voient donc qu’eux-mêmes sur cet écran », au début du film. On peut d’ores déjà noter que la photographie de Debord à quarante-cinq qui apparaît vers la fin dans une série de portraits, qui se clôt sur le dernier autoportrait de Rembrandt, est une photographie prise dans un miroir (par Alice !).

Il faut donc — littéralement et impérativement — reprendre le film au début une fois arrivé à la fin et, la boucle ainsi bouclée, entrer véritablement dans l’histoire. Ces spectateurs qui, en ouverture, regardent fixement « dans le miroir glacé de l’écran », sont renvoyés à leur misère essentielle par un Debord se trouvant, lui, de l’autre côté du miroir ; et qui est revenu pour les juger, eux et leur monde, dans ce « Prologue aux enfers » qui se place à la fois avant le commencement du film et après la fin.

Le « vaisseau » que l’on voit apparaître tout au long du film et tourner autour de Venise, sans jamais qu’il y pénètre, a été affrété par Debord pour ramasser les combattants situationnistes tombés au champ d’honneur et les conduire à leur dernière demeure sur « L’Île des Morts » de San Michele. Sa tâche accomplie, il lui faut encore revenir pour chanter les exploits de cette troupe d’élite dont il était responsable et qu’il a menée jusqu’« au cœur même de la destruction ». On peut donc prendre l’avertissement liminaire qu’il donne comme autre chose qu’une marque de présomption : « Ainsi donc, au lieu d’ajouter un film à des milliers de film quelconques, je préfère exposer ici pourquoi je ne ferai rien de tel. Ceci revient à remplacer les aventures futiles que conte le cinéma par l’examen d’un sujet important : moi-même. » De fait, il reste le seul à pouvoir relater cette histoire héroïque afin d’en conserver la mémoire — avant de disparaître à son tour lui aussi.

La chronique de l’« étrange guerre » des chevaliers du négatif dont il fut le chef et stratège malheureux peut alors commencer ; par la jeunesse du héros et ses premières aventures, comme il se doit.

C’est ce que nous examinerons dans le prochain épisode.

(À suivre)

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