samedi 25 mai 2013

Cryptanalyse d’In girum / 15



Mais revenons. La suite du commentaire évoque le développement de l’action des situationnistes : « Tout au long des années qui suivirent, des gens de vingt pays se trouvèrent pour entrer dans cette obscure conspiration aux exigences illimitées. Combien de voyages hâtifs ! Combien de rencontres dans tous les ports d’Europe ! […] » À l’écran se succèdent les photos de quelques-uns des protagonistes de l’aventure : « Asger Jorn » ; « Pinot-Gallizio » ; « Attila Kotányi » ; « Donald Nicholson-Smith ». Mais dès le commencement la fin est déjà présente. Debord insère à ce moment un « [p]anoramique sur les participants de la VIIIe Conférebce de l’Internationale situationniste, à Venise. ». Le commentaire dit : « Ainsi fut tracé  le programme le mieux fait pour frapper d’une suspicion complète l’ensemble de la vie sociale : classes et spécialisation, travail et divertissement, marchandise et urbanisme, idéologie et état, nous avons démontré que tout était à jeter. » Ce « programme » est resté lettre morte. Même si, après Venise, on en compte encore une Conférence qui s’est tenue à Wolsfeld-Trier en Allemagne, on peut considérer la celle de Venise comme la dernière : l’I.S. est morte à Venise. On peut se souvenir, à ce propos de la nouvelle de Thomas Mann : La Mort à Venise adaptée au cinéma par Luchino Visconti. Si Debord l’avais lue, peut-être aurait-il envisagé ce titre pour son film. On peut y lire la phrase suivante : « […] la passion, comme le crime, ne s’accommode pas de l’ordre normal, du bien être monotone de la vie journalière, et elle doit accueillir avec plaisir tout dérangement du mécanisme social, tout bouleversement ou tout fléau affligeant le monde, parce qu’elle peut avoir le vague espoir d’y trouver son avantage. » Gageons qu’il l’aurait certainement consignée sur l’une de ces petites fiches de bristol qu’on expose aujourd’hui — sans doute aurait-il même pu l’intégrer à son film testamentaire.

La « chute de Paris » encore à venir est d’ores et déjà anticipé : « Il faudrait bientôt la quitter cette ville qui pour nous fut si libre, mais qui va tomber entièrement aux mains de nos ennemis. […] / Il faudra la quitter, mais non sans avoir tenté une fois de s’en emparer à force ouverte ; il faudra la quitter après tant d’autres choses pour suivre la voie que détermine les nécessités de notre étrange guerre, qui nous a mené si loin. » À l’écran : « Travelling sur un “Kriegspiel” où s’affrontent deux armées. » C’est la seconde fois qu’apparaît le Kriegspiel inventé par Debord. La première se situe au début du film, quand il exprime son intention de faire un film difficile. Il réapparaîtra une dernière fois, à la fin de laséquence d’In girum consacrée à Florence : « Je me suis donné les moyens d’intervenir de plus loin […] » (Il serait certainement intéressant d’étudier les différentes configurations des parties qui sont montrées ; mais je ne joue pas de ce jeu-là. À propos de ce fameux Kriegspiel dont Debord se flatte d’être l’inventeur, on peut signaler qu’il existe un vieux jeu de stratégie chinois qui s’appelle : xiangqi aussi nommé : échecs chinois qui présente une certaine ressemblance avec le Jeu de la guerre debordien.)

Dans la suite, Debord file la métaphore guerrière qu’il affectionne particulièrement ; dans son commentaire et à travers différents extraits de films où l’on voit généralement le choc de deux armées qui se heurtent frontalement. La Charge fantastique de Raoul Walsh dans sa première partie ; La Charge de la brigade légère dans ses deux versions, celle de Michael Curtiz (1936) et celle de Tony Richardson (1968). Debord fait ainsi l’éloge de l’action de l’I.S. qu’il a lui-même conduite : « […] jamais, j’ose le dire, notre formation n’a dévié de sa ligne, jusqu’à ce qu’elle débouche au cœur même de la destruction. »

(À suivre)

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