jeudi 16 mai 2013

Cryptanalyse d’In girum / 10



Pendant le déroulement de la quatrième séquence des Enfants du paradis où l’on voit Lacenaire en compagnie de Garance entrer dans un « bouge » avec sa « fine équipe » et s’installer à une table où on leur sert à boire, le commentaire énonce : « C’était le labyrinthe le mieux fait pour retenir les voyageurs. Ceux qui s’y arrêteront deux jours n’en repartiront plus, ou du moins tant qu’il exista. […] Personne ne quittait ces quelques rues et ces quelques tables où le point culminant du temps avait été découvert. » Le thème du labyrinthe urbain est assez convenu — On le trouve par exemple chez De Quincey que cite Debord. Mais il faut s’arrêter sur l’expression : « le point culminant du temps ». Elle implique à la fois une suspension et un équilibre précaire qui doivent tous deux être rompus ; parce qu’on ne peut pas arrêter le temps et qu’on ne peut pas non plus se maintenir longtemps au sommet — il faudra nécessairement redescendre. Le temps ainsi spatialisé ouvre, un bref instant, à une vision panoptique de l’histoire qui se dévoile comme totalité. Il faut bien noter que ce « point culminant » si situe à l’origine — la jeunesse — ; comme dans la vision gnostique du monde la perfection du plérome qui doit être brisée : c’est alors que l’histoire commence qui est une « chute dans le temps ». Debord évoquera à une nouvelle fois ce « paradis perdu » dans son Panégyrique : « Entre la rue du Four et la rue de Buci, où notre jeunesse s’est si complètement perdue, en buvant quelques verres, on pouvait sentir avec certitude que nous ne ferions jamais rien de mieux. »

Ainsi, Paris n’a, à l’évidence, pas le même statut que les autres villes que Debord a habitées ensuite. Non seulement c’est la ville de sa jeunesse et de ses débuts dans la « carrière criminelles», mais c’est véritablement le « centre du monde » — le « point culminant du temps » — d’où tout est parti et vers quoi tout ramène. C’est aussi pourquoi la « chute de Paris » — identifiée à celle d’Ilion — constitue un véritable drame cosmique ; et le signe d’un exil qui n’aura pas de fin : éternellement il faudra tourner dans la nuit du monde jusqu’à ce que vienne le feu qui jugera tout.

C’est à ce titre aussi que ces figures du Quartier évoquées par Debord dans cette première époque ont un statut particulier que ne pourront avoir ceux qui viendront après — ils ne seront jamais que des (trop) tard venus — elles en sont véritablement les héros. Il convient donc d’examiner avec une attention particulière ces « charmants voyous » et ces « filles orgueilleuses » qui habitèrent « ces bas-fonds » avec lui ; et qui constituaient cette « chevalerie errante » promise à la perte.

(À suivre)

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