vendredi 24 mai 2013

Cryptanalyse d’In girum / 14



Mais revenons au Terroriste. Une première séquence de ce film prend place en amont, pendant l’évocation de la jeunesse désœuvrée du quartier. Le commentaire dit : « […] là était tout ce que nous aimerions jamais. Le temps brûlait plus fort qu’ailleurs, et manquerait. On sentait la terre trembler. » À l’écran, un « conspirateur vénitien » et sa « compagne ». Il faut s’arrêter sur le film de De Bosio. L’utilisation qu’en fait Debord va au-delà de la citation, même détournée ; elle implique le film dans sa totalité — qu’il faut donc examiner. Celui-ci raconte l’histoire d’un petit groupe de partisans dans une Venise occupée par l’armée du Reich. Le rapprochement avec l’action des situationnistes s’impose. Debord, quant à lui, peut être identifié à l’« ingeniere » du film qui organise et dirige les actions terroristes contre les troupes d’occupation — le court extrait : « Travelling sur l’eau dans un canal très étroit de Venise. » précédemment mentionné montre une l’embarcation qui achemine des explosifs vers le lieu d’un attentat.

Dans ce cas aussi, il est nécessaire de remettre les choses à l’endroit : les « terroristes » sont en fait des résistants — Debord dira qu’en Italie, on lui a fait une « réputation de terroriste ». L’identification de Debord à l’« ingeniere », figure centrale cette « armée des ombres », ramène au Diable qui fait une apparition à travers un nouvel extrait des Visiteurs du soir où on le voit qui retourne d’un seul coup la situation dans une partie d’échecs mal engagée : « […] Echec et mat. Vous avez gagné. C’est simple les échecs. » Suivent deux autres scènes du même film qui se situent chronologiquement avant la précédente. Dans le premier, on voit les « émissaires du diable » à cheval : « Gilles et Dominique vont vers le château où ils porteront le trouble, sur la musique de leur chanson : “Tristes enfants perdus”. » ; le second montre « Dominique et Gilles, la nuit dans le château : “Les autres nous aiment ; ils souffrent pour nous ; nous les regardons ; nous nous en allons. Joli voyage, le diable paye les frais.” » Cette scène renvoie au couple (libertin et manipulateur) que Debord formait avec Michèle Bernstein. On remarquera qu’il n’est jamais directement fait mention de celle-ci dans le film. Debord se contente de montrer la photo d’une plaque de rue : « L’Impasse de Clairvaux » où ils ont habité ; le commentaire dit : « […] Paris, où l’on pouvait si bien passer inaperçu, était encore au milieu de tous nos voyages, comme le plus fréquenté de nos rendez-vous. […] » La seule fois où elle apparaît, vers la fin du film, c’est sur une photo de groupe de la série Love on the left bank de Ed van der Elsken où elle tient Éliane Papaïa, à laquelle elle donne du feu, sur ses genoux : « D’autres amies du temps passé. »

(À suivre)

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