lundi 6 mai 2013

Cryptanalyse d’In girum / 4



Examinons à présent la structure générale d’In girum. Il faut remarquer d’abord l’animation spéciale dont fait l’objet le palindrome-titre dans le générique du film. Debord avait indiqué précisément la manière dont il devait être réalisé dans une Note. Cette animation montre la circularité du palindrome qui s’inscrit lettre à lettre : « chaque lettre apparaissant en même temps – restant seule assez longtemps » — c’est-à-dire que le palindrome s’écrit progressivement devant les yeux du spectateur, simultanément dans les deux sens jusqu’à épuisement de toutes les lettres mises en relation une à une.

Cette circularité s’exprime dans l’incruste finale d’In girum. Debord en a donné l’explication suivante : « “À REPRENDRE DEPUIS LE DÉBUT” : le mot reprendre à ici plusieurs sens conjoints dont il faut garder le maximum. D’abord : à relire, ou à revoir, depuis de le début (évoquant ainsi la structure circulaire du palindrome). Ensuite : à refaire (le film ou la vie de l’auteur). Ensuite : à critiquer, corriger, blâmer. » Le rapport est fait avec le palindrome sans que Debord ne parle de son implication éventuelle dans la structure du film lui-même. Il est vrai que cette note se trouve dans une Liste des citations et détournements à destination des traducteurs et qu’elle n’a donc qu’une valeur explicative à leur usage. Les autres Notes de Debord sur In girum ne sont pas plus éclairantes. Ce qui est certain en tout cas, c’est que Debord tenait à ce qu’In girum soit un film particulièrement « difficile ». Fabien Danesi écrit* : « En octobre [1976], Debord pense à “une écriture vraiment difficile”, ne voulant rien offrir au spectateur qui ressemblerait à une pensée confortable, afin de contrarier la démagogie spectaculaire et retrouver l’âpreté du potlatch. » Et il fait état de cette « fiche datée du 9 mai 1976 » où « Debord évoque la force possible du cinéma et renvoie à un emploi du langage dans la lignée de Mallarmé. » ; il ajoute la précision suivante : « Ici se dessine une volonté d’écarter tout didactisme et de retrouver la dimension presque absconse ou ésotérique de ses précédents courts métrages […]. » La référence aux courts métrages, à savoir : Sur le passage de quelques personnes à travers une asse courte unité de temps, et Critique de la séparation n’est pas pertinente ; même si on y ajoute une « dimension presque absconse ou ésotérique » qu’ils n’ont pas. Debord dit du premier : « On peut considérer ce court-métrage comme des notes sur l’origine du mouvement situationniste ; notes qui de ce fait contiennent évidement une réflexion sur leur propre langage. » ; Antoine Coppola** écrit des deux : « Sommes de notes écrites, visuelles, somme de remarques concernant la vie du groupe, ces films s’adressent avant tout au public composé des membres de l’I.S. eux-mêmes, et de ceux qui désirent en savoir plus sur ce groupe qui se présente comme un mythe en cours de formation. » En tout état de cause, si l’on veut trouver quelque chose d’« absconse ou ésotérique » c’est certainement dans In girum qu’il faut chercher et non pas dans des courts métrages qui sont plutôt à usage interne — ce qui suffit à expliquer d’éventuelles difficultés de compréhension.

____________________

* Article consacré à In girum dans le catalogue de l’exposition Debord de la BnF.

** Introduction au cinéma de Guy Debord et de l’avant-garde situationniste, Sulliver.

(À suivre)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire