vendredi 3 mai 2013

Cryptanalyse d’In girum / 2



Dans le chapitre conclusif de Pour mémoire* Boris Donné écrit : « L’enchevêtrement des fils qui tissent ces Mémoires en font un texte impénétrable, dont la cohérence profonde et la pleine signification devaient longtemps rester le secret de Debord. » Cette remarque s’applique également — et à plus forte raison, pourrait-on dire — à In girum qui constitue l’achèvement de ces Mémoires et vient les celer par un Testament qu’il s’agit à présent de déchiffrer.

On a, avec Notes sur les intentions du film In girum mimus nocte et consumimur igni, une idée générale sur la manière dont debord travaillait. Ainsi, celle-ci : « Film n°2 / Processus (à partir de jan. 76) / G.-M. /– Il faut arrêter : les thèmes, puis leur enchaînement (= “scénario” de base du film). / – Puis arrêter, parallèlement : / les blocs détournés (de films) [et les blocs/tournages] / et / les phrases/comm[entaires]. Détournées / (ou citations) [+ chansons] / – Puis habiller et relier ces successions de blocs – déployés selon le plan du “scénario” – avec du comm[entaire] rédigé. / Puis compléter avec des sous-titres (évent[uellement] des placards ?) – et placer la musique. » Mais tout cela reste très technique. Cette autre renseigne, mais là aussi très généralement, sur les intentions et le contenu du film : « F[ilm] n°2, 9 mai 76 / Examiner cette ligne générale / Faire cette fois un film non tant politique que “lyrique”. Rechercher avec cette force du cinéma, ce que serait un emploi du langage du niveau de Mallarmé, etc. (càd. “à se rouler par terre”, cf. la demi-dose d’Hiroshima). / Être ainsi le trouvère-guerrier de ce temps… / Dans cet esprit, voir – pour y ramener les thèmes du film – quels sont les thèmes profonds (dans tous les esprits, ou cœurs) du lyrisme humain : / A. thèmes permanents – le passage du temps / l’amour / (l’amitié) / l’action et l’aventure / (la violence) / (l’orgueil et la sagesse) / B. thèmes actuels – l’environnement / (la perte de la qualité) / la critique et la révolution. »

Il apparaît que lorsque Debord a commencé à rassembler des matériaux pour son film le titre n’en était pas encore arrêté. Une Note de sa main précise que : « Le film n°2 pourrait-il s’appeler ? L’ART DE LA GUERRE (d’après Sun Tsu et Machiavel) + Jomini / ou bien quel autre détournement d’un grand titre. » Furent envisagés les détournements suivants : Commentaires sur la guerre du Péloponnèse de Thucydide Commentaire sur le Prince de Machiavel, Le particulier s’use en combattant ; ou encore dans un autre domaine : Les aventures de Don Quichotte, Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence ; et même le plus direct Enquête sur le monde qu’à recherché Guy Debord.

La première allusion au palindrome-titre date de décembre 1977. Dans une Note sur In girum, Debord écrit : « Tout le film (aussi à l’aide des images, mais déjà dans le texte du “commentaire”) est bâti sur le thème de l’eau. On y cite les poètes de l’écoulement de tout (Li Po, Omar Kháyyám, Héraclite, Bossuer, Shelley ?) qui tous on parlé de l’eau : c’est le temps. / Il t a secondairement le thème du feu ; de l’éclat de l’instant : c’est la révolution, Saint-Germain-des-Prés, la jeunesse, l’amour, la négation dans sa nuit, Le Diable, la bataille et les “entreprises inachevées” où vont mourir les hommes, éblouis en tant que “voyageurs qui passent” ; et le désir dans cette nuit du monde (“nocte consumimur igni”). / mais l’eau du temps demeure qui emporte le feu, et l’éteint. Ainsi l’éclatante jeunesse de Saint-Germain-des-Prés, le feu de l’assaut de l’ardente “brigade légère” ont été noyés dans l’eau courante du siècle quand elles se sont avancées “sous le canon du temps”… »**

On peut d’ores et déjà remarquer que Debord ne donne comme thèmes de son film que deux des éléments qui circulent dans le quaternaire traditionnel : l’eau et le feu ; manquent la terre et l’air qui sont pourtant aussi présents dans In girum : « la terre gâtée » qui n’a pu être rédimé par les « chevaliers du négatif » qui sont « venus comme de l’eau » ; et qui sont « partis comme le vent ».

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*Pour mémoire, Un essai d’élucidation des Mémoires de Guy Debord, Allia.

** Je ferais remarquer les points de suspension qui suivent l’expression : « sous les canons du temps » — ce qui, retourné, donne : le temps des canons… Étonnant, non ?

(À suivre)

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