La justification de l’action des
situationnistes se poursuit. Lucidement, pour cette fois, le commentaire
énonce : « C’est parce que l’ennemi a poussé si loin ses erreurs, que
nous avons commencé à gagner. » Mais peut-on parler là de victoire ?
Dans cette course de vitesse au changement engagée avec l’adversaire c’est
l’I.S. qui devait perdre. À une autre
époque, dans un court-métrage évoquant la jeunesse désœuvrée du Quartier,
Debord disait : « Un film d’art sur cette génération ne sera qu’un
film sur l’absence de ses œuvres. ». Il s’agissait alors du champ
artistique qui était encore un champ d’inactions subversives. Il doit
reconnaître à présent que sur le terrain plus vaste de la guerre sociale la subversion
situationniste n’a rien pu faire. Le paysage désolé qui constitue le décor de
ce temps d’apocalypse est la preuve de la victoire totale de l’adversaire.
« Ce qu’ils ont fait montre suffisamment, en négatif, notre projet. »
dit le commentaire. Piètre consolation. Et encore : « Leurs immenses
travaux ne les ont donc mené que là, à cette corruption. » Aveu amer de l’échec.
Ne reste que la jouissance nihiliste du désastre : « Voilà donc une
civilisation qui brûle, chavire et s’enfonce tout entière. Ah. Le beau
torpillage. » À l’écran on voit « [c]uirassé [qui] donne de la
bande et coule. »
Vient alors le temps de la retraite pour le
« brave ». On revoit la maison des montagnes d’Auvergne. Debord cite
Li Po : « Je descendis de cheval ; je lui offris le vin de
l’adieu, – je lui demandai le but de son voyage. – Il me répondit : je
n’ai pas réussi dans les affaires du monde ; – je m’en retourne aux monts
Nan Chan pour y chercher le repos. » Ce poème a été mis en musique d’une
manière particulièrement déchirante par Mahler dans Le Chant de la terre — « Dunkel
ist dans Leben, ist der Todt. » — ;
c’est aussi la musique de Malher qui sert d’accompagnement à La Mort à Venise de Visconti. Debord
achève son testament : « […] il n’y a pas de succès ou d’échec pour
Guy Debord et ses prétentions démesurées. » Qui y a t’il donc,
alors ? Il n’y a rien. Le jeune
Marx est lui aussi convoqué, à cet enterrement de première classe, qui a écrit
à Ruge que c’était la « situation désespéré » de l’adversaire qui
seule le « rempli[ssait] d’espoir » La boucle est bouclée. In girum s’achève sur l’image du miroir
vide de la lagune ; et sur l’évocation de la sophia qui ne « viendra jamais ». In girum s’achève mais ne finit pas. « À reprendre depuis le
début. », donc.
C’est ce que nous allons faire — dans le
cours du mouvement ; et conséquemment par son côté circulaire.
(À suivre)