Sur le « procédé »
Revenons à ce « canon énigmatique »
ou « rétrograde » tel qu’il est défini par Joseph d’Ortigue dans son Dictionnaire où il est exemplifié, entre
autre, par le palindrome latin utilisé par Debord pour titrer son film : In girum imus nocte (ecce) et consumimur igni.
Au début de la rubrique CANON est donnée la
définition générale qui n’est pas sans intérêt pour notre propos, la voici :
« Le canon est une composition qui
repose sur une imitation rigoureuse de deux ou plusieurs parties les unes à l’égard
des autres, de telle sorte que le caprice du compositeur se trouve limité à
l’obligation étroite de se soumettre aux règles de l’espèce. […] / Autrefois,
ainsi que le remarque Zarlino, on mettait en tête des fugues perpétuelles (qui étaient des imitations canoniques, car la
fugue tonale n’existe que depuis la création de la dissonance naturelle),
certains avertissements qui marquaient de quelle manière il fallait chanter ces
sortes de fugues, et ces avertissements étant les règles de l’espèce (kanonis), s’appelaient canoni ou canone en italien. De là est venu notre nom de canon, qui veut dire règle,
dans lequel, comme nous l’avons dit, l’imitation est rigoureuse, tandis qu’elle
est périodique dans la fugue tonale. / […] / Après ces règles générales du
canon, nous mentionnerons quelques espèces : “Le canon circulaire, qui, après avoir parcouru les douze tons majeurs
ou mineurs du système, se trouve au point où il a commencé, et semble ainsi
décrire un cercle parfait ; / Le canon
perpétuel, qui ne diffère du canon ordinaire que par les dernières mesures
de manière que le canon recommence par une voix, pendant que l’autre achève sa
résolution. Le canon circulaire est
nécessairement perpétuel ;
[…]”. »
Le canon est donc une sorte de procédé (ou
une contrainte, si l’on veut). L’obligation de « se soumettre aux règles
de l’espèce » si impérative qu’elle soit doit permettre un certain jeu. Tous les auteurs (Roussel, Pérec,
par exemple) qui ont utilisé un procédé d’écriture ne l’on jamais utilisé
systématiquement, parce que, une fois le procédé découvert (ou révélé), on est
en mesure de lire à découvert tout ce
que le procédé avait précisément pour fonction de masquer. Ainsi, se trouve-on
face à des irrégularités : des écarts — des libertés pourraient-on dire sans lesquelles il n’y a pas d’art et
par conséquent d’œuvre* digne de ce nom : pas d’aura. Le cas de Roussel qui à prétendu révéler Comment [il a] écrit certains
de ses livres est exemplaire puisqu’il finit par vendre lui-même la mèche. On
a fait remarqué, à juste titre que la compréhension du procédé indique « comment
il a écrit, non comment il faut le lire »*.* On voit que l’affaire se complique. Le cas de Pérec est similaire,
notamment dans La Vie mode d’emploi où
il a révélé un certain nombre de ses fameuses contraintes ; mais on voit bien qu’il ne s’y plie pas
toujours.
Pour en revenir à Debord et à In girum, il semble bien qu’il faille
aussi s’orienter dans cette direction. Avis aux amateurs éclairés.
___________________
* Dans le système d’Épicure où les atomes
tombent parallèlement dans le vide, il faut un clinamen pour« faire monde ».
** Patrick Besnier, Roussel et la langue des oiseaux, Préface à Comment lire Raymond Roussel de Philippe Kerbellec, Jean-Jacques Pauvert
et Compagnie.
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