Finzi conclue en
écrivant : « Dans In girum,
Debord donnerait à entendre cette voie d’un narcissisme conscient et critique,
d’une conscience critique critique de son propre narcissisme. Narcissisme dont
Lasch a bien décrit le contexte social et culturel qui le favorise, qui se
nourrit d’un deuil impossible, celui qui partage toute une génération
d’intellectuels, le deuil du prolétariat. » On fera remarquer qu’une bonne
partie de la « génération » en question à parfaitement réussie à
faire son deuil du prolétariat remisé au rayon des accessoires inutiles pour
« s’imposer dans le monde ». Si Debord essaie bien de faire le deuil
de quelque chose c’est celui de l’enfance, de la jeunesse dont il s’agit —
enfance et jeunesse perdue dès le départ ; et après lesquelles il est vain
de courir.
Citons avant de finir,
puisqu’il est mentionné plus haut, Christopher Lasch* : « L’évasion
par l’ironie et la conscience critique de soi est, elle-même, une ironie ;
au mieux elle ne procure qu’un soulagement momentané. La distanciation se
transforme bientôt en routine. La conscience observant la conscience crée une
escalade cyclique de la conscience de soi qui inhibe la spontanéité. […] les
rôles que l’on se crée pour soi-même deviennent aussi contraignants que les
comportements sociaux dont ils sont censés nous soulager par le détachement
ironique. Nous désirons ardemment que s’interrompe cette conscience de soi,
cette attitude pseudo-analytique devenue une seconde nature. Mais ni l’art ni
la religion, les grands libérateurs historiques de la prison du moi, ne conservent
de pouvoir face à l’incroyance. Dans une société fondée si largement sur
l’illusion et l’apparence, l’art et la religion – les illusions ultimes – n’ont
pas d’avenir. […] / […] / De fait, emprisonné dans sa pseudo-connaissance de
lui-même, le nouveau Narcisse se refugierait volontiers dans une idée fixe, une
obsession névrosée, une “obsession magnifique” – n’importe quoi pour sortir de
lui-même. »
En exergue de son chapitre conclusif, Finzi
place cette citation de Victor Serge tirée des Mémoires d’un révolutionnaire qui ne manque pas de pertinence :
« C’est pourquoi nous allâmes à la tendance extrême (à ce moment), celles
par qui une dialectique rigoureuse en arrivait, à force de révolutionnarisme, à
n’avoir plus besoin de révolution. » ; à laquelle fait écho cette
autre, tiré d’In girum, où Debord
fait allusion à ses débuts lettristes à Paris : « Dans ce site,
l’extrémisme s’était proclamé indépendant de toute cause particulière, et
s’était superbement affranchi de tout projet. »
C’est cette même « dialectique
rigoureuse » finissant par se boucler sur elle-même et tourner à vide qui
est à l’œuvre dans In girum. Debord
ironisant sur sa position dans le cinéma, écrit : « Mon existence même
y reste une hypothèse généralement réfutée. Aussi, comme le disait Swift, “ce
n’est pas une mince satisfaction pour moi que de présenter un ouvrage
absolument au-dessus de toute critique” ». Rinzi écrit quant à lui :
« Film portrait, In girum
prétend noyer toute critique à son égard dans ses mots d’ordres esthétiques
péremptoires présupposant une autonomie de l’esthétique assuré d’un discours
qu’il assure subversif. État d’exception, irrécupérable diront tous ceux qui,
touristes de la vie, individus sans responsabilités puisque centre de leur
propre intérêt bien défendu, fantasme une singularité identitaire tout en se
sachant effroyablement semblable à leur prochain. Film portrait proposant le
dandysme, parfois proche de l’anarchisme de droite, comme unique solution, mais
solution unique, réserver à l’Unique. » Mais plus qu’un film portrait — ce
qu’il est aussi — In girum est un
film testamentaire, un film de deuil. Envisageant un prolongement de son
travail Finzi écrit : « Il appartiendra à nous-mêmes ou d’autres, à
partir de ce travail par exemple, d’essayer de voir comment cette
non-correspondance entre ce que Jean-Marc Génuite nomme une communauté imaginée
et une communauté existante, a traversé le siècle et dans les représentations
de la réalité comme le cinéma notamment, a pu amener, avec d’autres actes et
pensées, à cette histoire de deuil, ce deuil du militantisme, deuil du prolétariat,
deuil de la révolution qui, parce qu’il ne passe pas, conduit aux retournements
violents, aux haines féroces. Ce deuil qui irrigue In girum et la biographie de Guy Debord qui y est raconté, avec ces
morts qui sont préférés aux vivants, ces galeries d’amis assassinés (Ghislain
de Marbaix), internés (Chtcheglov), décédés (Asger Jorn) et soi-même face à la
vieillesse et la mort, à force de photos et d’autoportraits de
Rembrandt. » Si il ya plusieurs photos de Debord à différents âges, il n’y
qu’un seul autoportrait de Rembrandt vieux auquel Debord s’identifie
manifestement. Celui qui pouvait dire étant plus jeune : « Nous, nous
avons beaucoup l’orgueil, mais pas celui d’être Rembrandt dans les
musées. » a fini par être célébré comme l’artiste qu’il ne voulait pas
être.
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* La
Culture du narcissisme, Climats.
(À suivre)
Je crois bien que c'est ça le problème : que faire quand les espoirs d'une révolution se sont envolés et que la défaite est assumée ? La trajectoire de Debord part ainsi d'une sorte de position révolutionnaire dans l'avant-garde artistique et se referme sur une position passive de commentateur de l'effondrement de la société.
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