« On m’avait reproché, mais à tort je
crois, de faire des films difficiles : je vais pour finir en faire un. À
qui se fâche de ne pas comprendre toutes les allusions ou même qui s’avoue
incapable de distinguer nettement mes intentions, je répondrais seulement qu’il
doit se désoler de sa stérilité et non de mes façons ; il a perdu son
temps à l’université, où se revendent à la sauvette des petits stocks de
connaissances abîmées. » Cette annonce liminaire est faite par Debord
juste avant qu’il n’entre dans le « vif du sujet » de son film :
lui-même ; en même temps qu’apparaît pour la première fois à l’écran le Kriegspiel « où deux armées sont
déployées ». C’est dire qu’elle doit être prise au sérieux. Pourtant, à
suivre le déroulement du film, il ne semble pas présenter de difficulté
particulière — il est même plus facile et plaisant à voir que La Société du spectacle qui est
nettement plus austère. Alors où donc réside la difficulté ? Si ce n’est
pas dans la narration proprement dite, c’est dans la manière de raconter
l’histoire qu’il faut chercher : dans le montage.
On en revient au procédé auquel il est fait allusion à travers un extrait tiré d’une
série B des Aventures de Zorro. On y voit le héros masqué se saisir d’une
mitrailleuse et la retourner contre
ses adversaires. La voix off de Debord : « Ainsi donc, au lieu
d’ajouter un film à des milliers de films quelconques, je préfère exposer ici
pourquoi je ne ferais rien de tel. Ceci revient à remplacer les aventures futiles
que conte le cinéma par l’examen d’un sujet important : moi-même. »
Cette scène de retournement située
précisément au début de l’histoire — ce qui précède n’en est que le prologue —
renvoie à l’incruste finale : « À reprendre depuis le début. »,
que Debord commente ainsi : « […] le mot reprendre a ici plusieurs
sens conjoints dont il faut garder le maximum. D’abord : à relire, ou
revoir, depuis le début (évoquant ainsi la structure circulaire du
titre-palindrome). Ensuite : à refaire (le film ou la vie de l’auteur).
Ensuite : à critiquer, corriger, blâmer. » Il faut surtout retenir
que « reprendre » fait référence à « la structure circulaire du
titre-palindrome » — ce qui implique effectivement de « relire »
et de « revoir ». Quant à « refaire », s’il est toujours
possible de refaire un film, on voit mal comment l’auteur pourrait « refaire
sa vie ». Pour ce qui est de « critiquer, corriger, blâmer », on
se souviendra que Debord s’est flatté de faire une œuvre qui soit au-dessus de
toute critique.
Mais « la structure circulaire du
titre-palindrome » est aussi la structure de l’œuvre qu’elle titre. C’est
la même structure que celle du « canon énigmatique » qui comme le
rappelle Joseph d’Ortigue à la fin de son article est une variété spéciale du
« canon circulaire » et du « canon perpétuel ».
(À suivre)
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