Bien évidemment Debord ne peut pas être un
dissident comme, et parmi, les autres dans cette période de reflux où se met en
place cette idéologie de la survie qui la caractérise. « Le journaliste
Greil Marcus constate que “la notion que Bettelheim appelait en 1976, une
‘survie dénuée de signification’, où ‘seule compte la survie à tout prix’,
avait envahi toutes les formes de discours. […] La nouvelle idéologie se lisait
dans les titres des disques : Survivor,
Rock and Roll Survivor, “You’re a
survivor”, I Survive, “Soul Survivor”,
Street Survivors, Survival, Surviving, “I Will Survive”, encore et encore, dans une redondance
sans fin. […] Pour tous ceux qui furent les ennemis déclarés du système,
abandonner l’organisation qui concrétisait la lutte, c’est se retrouver face à
soi, au centre du système, survivre
dans le système capitalisme. Pour certain c’est le passage par la psychanalyse,
pour d’autres la drogue, le mysticisme, voire la métaphysique ou le suicide.
Guy Debord après qu’Adorno et Horkheimer aient relevé l’émergence de cette
idéologie de l’autoconservation, n’en est pas là. Ayant fustigé l’idée de
survie dans la traduction française du pamphlet de Censor, le titre de
survivant est, de fait, inadéquat, trop commun et trop consensuel pour être
partagé. Il affirme avec In girum
être le seul vivant dans ce qu’il nommera
plus tard “ces répugnantes années soixante-dix”. »
Finzi récapitule l’itinéraire de Debord et
son contexte : « Ces “répugnantes années soixante-dix” » [il]
les passe entre la France et Florence » où, « [a]vec son ami
Sanguinetti, qui possède d’ailleurs une bibliothèque entièrement dédiée à Machiavel,
ils ourdissent ensemble quelques coups à l’encontre d’un État fallacieux,
séducteur et captieux. […] / Durant cette période, certaine similitudes d’agitations
politiques sont observable dans l’espace européen et, si le Portugal de 1974-76
est un précipité des tensions politiques françaises, l’Italie en est le miroir grossissant.
En Italie, le « mai rampant » débouchera sur les « années de
plomb et « la politique du pire (tanto
peggio, tanto meglio) : les attentats terroristes » ; alors
que le Portugal verra brève floraison de la « révolution des œillets ».
« La période “italienne” de Debord qui s’étend de 1973 à son expulsion d’Italie
en 1977, participe de la maturation de sa théorie critique, dont l’écho est a
trouver tant dans ses écrits que dans In
girum. Un pied en France, où le reniement et le retour à la normale sont
généraux, et un pied en Italie où l’agitation bat son plein dans un “spectacle”
dont l’État retire les bénéfices les plus sanglants, Debord est à cheval entre
deux situations de radicalité politiques bien distinctes. » C’est dans ce
contexte que Censor voit le jour : « L’opération Censor, à travers
son succès relatif, laisse apparaître un primat du style sur les retombées à
long terme de cette action : expliquer l’échec de la “guerre sociale” qu’aurait
été le “mai rampant” pat la simple présence du PCI que tout attribuer à l’absence
du parti. Car, en effet, ce point de vue anticommuniste ne cherche absolument pas
à savoir pourquoi les ouvriers continuent à suivre le PCI, à voter pour lui. L’auteur
du livre, c’est son projet affiché mais également son résultat, se soucie plus
de réfléchir pour la bourgeoisie, à qui il donne de bon conseil pour auto-préservation,
que pour le prolétariat qu’il prétend mettre au devant de la révolution
sociale. »
Il ne fait pas de doute que, comme l’écrit
Finzi, « [le] contexte italien par ses aspects généraux et ceux touchant Debord
en particulier, constitue un intertexte prépondérant dans la réalisation d’In girum. Il est, dans l’itinéraire de
nombreuses personnes très engagées depuis les années cinquante, une plaine où l’histoire
se décharge et que l’on choisit d’observer de loin ou de fouler jusqu’à lever
la poussière. Laboratoire politique européen un peu exacerbé et creuset
concrets des flous dans les extrêmes politiques, cette confusion parfois
intéressée ne connaît pas de frontière. L’Italie est également terrain d’expérimentation
et avant-poste des nouvelles stratégies de “dissidence” : là où toute
subversion sert le système et la réaction, des initiatives marginales voient le jour. »
(À suivre)
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