La dernière partie de l’étude de Finzi aborde
le thème du « replis sur soi de l’artiste » et plus particulièrement
celui de l’échec : « Ce chapitre, en s’appuyant particulièrement sur
la deuxième partie du film, tentera ainsi de préciser comment ce repli sur soi
s’exprime effectivement comme un “art de se réfléchir” qui, dans une autoréflexivité
toute moderniste, dispose la posture néo-avant-garde et son échec
consubstantiel, la nostalgie (du romantisme au narcissisme) et la solitude (de
la marginalité à la mort) comme autant de topoï et modalités de construction de
l’image de l’artiste. » — on fera remarquer à ce propos que la
photographie de Debord à quarante-cinq ans qui précède l’autoportrait de
Rembrandt dans une des dernières séquences du film est prise dans un
miroir ; c’est donc une image inversée — une image de l’autre côté (du miroir).
Finzi écrit : « En tant
qu’“intelligentsia révolutionnaire”, c’est-à-dire en tant qu’avant-garde,
l’I.S. avait déjà intégré l’échec comme son horizon. » ; et met
précédemment en exergue de son chapitre cet extrait d’I.S. n° 8 : « Ceci revient à dire que l’intelligentsia
révolutionnaire ne pourra réaliser son projet qu’en se supprimant : que le
parti de l’intelligence ne peut effectivement exister qu’en tant que parti qui
se dépasse lui-même, dont la victoire est en même temps la perte. » Évidemment
cette « suppression » qui est aussi un « dépassement » fait
référence au concept hégélien d’Aufhebung ;
mais il n’y a pas de « dépassement » pour une avant-garde — comme le
montrent les exemples de son film — promise au sacrifice et à l’anéantissement.
Et à ceux qui lui reprocheraient le sacrifice de cette « belle
troupe » Debord répond par avance : « Je trouve qu’elle était
faite pour cela. »
Finzi analyse l’œuvre cinématographique de
Debord comme relevant d’un « cinéma “déceptif” » Il emprunte le terme
de « déceptif » à un critique d’Art
Press, Laurent Goumarre, qui dans le n° 238, septembre 1998, de la revue
développe le concept d’« art déceptif »* sans l’appliquer au cinéma. In girum, film testamentaire, il faut le
répéter, s’inscrit dans un contexte de l’échec de la révolution, que l’I.S.
appelait de ses vœux,
et de la
désillusion qui a suivie. D’où le fait que « la structure “décevante”,
pour reprendre [les] termes [de Debord]**, d’In girum dont toute utopie est absente porte en 1981 le sceau du
renoncement politique ». Parlant des louanges que le film a soulevées dans
un certain milieu Finzi écrit : « C’est à l’aune de ces mécanismes de frustration qu’il faut
peut-être comprendre les honneurs dont le film a été entouré dès sa sortie et
surtout depuis la mort du réalisateur par le milieu de haut-modernisme et de
l’art contemporain en France et ailleurs, mais surtout en France où, comme le
note Jean-Paul Curnier, “la bourgeoisie nouvelle aime par-dessus tout dans
l’art la défaite de l’art, l’écrasement de son arrogance. C’est pourquoi il
faut aux managers et autres responsables de ces institutions foraines toujours
plus de vitalité vaincue, toujours plus de sauvagerie arraisonnée, toujours
plus de délinquance asservie.”*** Voir en In
girum un Debord défait, lui qui fut plus qu’un simple trublion en 1968, et,
dans le même sac, l’écueil de ses prétentions politiques comme poétiques, est
certainement un soulagement inavoué pour tous ceux qui en avaient été effrayés
autrefois et qui peuvent aujourd’hui l’observer à l’auditorium du Louvre, enfin
mis sous cage, dans le beau cadre des musées… »
S’il est vrai que voir Debord perdre, non pas
de sa superbe mais tout simplement la partie, a dû en réjouir plus d’un, il
faut dire qu’il se glorifie de, et dans, la défaite qui fait partie intégrante du
jeu ; et qui même le magnifie d’une certaine manière plus que la victoire —
qui de toute façon n’était pas à sa portée. Aussi bien, il n’y a certainement
pas là, dans In girum, ou ailleurs,
de quoi remettre en cause sa « poétique » qui est en parfaite
adéquation avec ce dont elle rend compte, dans la forme comme sur le fond.
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* « Le fait que pour Goumarre, le cinéma
“ne semble pas participer de cette élaboration d’un art déceptif, peut-être du
fait de son absence de questionnement quant à la place du spectateur”, prouve
juste sa méconnaissance du cinéma et confirme, a contrario, la possibilité d’une lecture déceptive d’In girum en ce que ce film questionne
justement la place du spectateur. »
** Dans une lettre à Frankin à propos de Sur le passage (1959) Debord
écrivait : « Mon schéma est le suivant : le film commence comme
un documentaire ordinaire, techniquement moyen. Il va doucement vers le peu
clair, le décevant […]. »
*** Jean Paul Curnier, “Sur les motifs d’une
fronde en art et ailleurs”, in Curnier & consorts, La MAC de Marseille mis à nu, Une
affaire de musée d’art, Paris, Sens & Tonka, collection “Dits &
contredits” 1997.
(À suivre)
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