Annexes
3. De la merde en milieu situationniste
Pékin, 20 septembre.
« Trente gardes
rouges Shenyang (Mandchourie), venus à Pékin pour y apprendre l’expérience de
la grande révolution culturelle chinoise, se sont fait vidangeurs lundi dans
cette ville et ont accompli toutes les opérations que comporte cette profession
sou la conduite de Shin-Chuang-Hsiang « le vidangeur modèle de toute la
Chine », annonce l’agence Chine Nouvelle. […] Avant de las accompagner
dans leur tournée à travers la ville, Shin-Chuang-Hsiang a expliqué aux gardes
rouges l’importance des tâches qu’ils devaient accomplir, et leur a dit :
« En vidant les latrines, vous aidez non seulement à faire un travail de
nettoyage, mais à déraciner aussi la capitalisme et le révisionnisme, que nous
devons extirper de tous les coins de notre pays. »
Le Monde du 21/9/66.
L’internationale
situationniste nous impose un niveau de polémique particulièrement bas, en
jouant sur les illusions que son « prestige révolutionnaire
savamment » entretenu a pu répandre. Qu’à cela ne tienne. À l’opposé de
ces mystiques qui ferment les yeux et se bouchent le nez devant leur propre
merde, ou s’efforcent pour s’en purifier
de la concentrer sur un bouc émissaire qu’il suffirait alors d’expulser pour se
retrouver plus beau qu’avant, nous allons rendre la merde plus honteuse encore
en la livrant à la publicité.
Il n’y a pas de
prestige qui résiste à la vérité de la pratique et à la pratique de la vérité :
elle seule est révolutionnaire.
La petite circulaire
d’« exclusion » répandue par l’I.S. se trouve être visiblement falsificatrice sur deux
points au moins :
–
Nous
avons démissionné, manifestant par la notre rupture
avec les pratiques actuelles de l’I.S. Il n’y a eu à aucun un vote quelconque,
sauf peut-être après notre départ ; c’est tout juste si un Debord en passe
d’attraper la jaunisse a déclaré timidement que « démission et exclusion,
c’est la même chose », allégation à laquelle il fut répondu que NON. Un
tract diffusé dans la même journée affirmait nos positions face à l’I.S. et au
monde.
–
Elle
es grossièrement antidatée : c’est le jeudi 16, aux premières heures, que
nous avons donné notre démission et quitté immédiatement les lieux, malgré les
invitations qui nous furent faites de poursuivre un dialogue sur les nouvelles
bases créées par notre démission.
Ce sont là deux mensonges
indiscutables ; les mensonges de Khayati le sont tout autant, mais mieux
dissimulés, ce Khayati dont la petitesse dans la vie quotidienne reconnue par tous (réunion formalisée du mardi 10
janvier), se trouvait tacheté aux yeux de Debord par d’autres qualités, théoriques celles-là (sic), notamment comme rédacteur unique
de la brochure collective publiée par l’A.F.G.E.S. !
Quel que soit le poinr de vue auquel on se
place, Khayati ment : il rapporte inexactement des détails et même si ces détails avaient été « exactement »
rapportés, il n’en aurait pas moins menti sur l’ensemble d’une situation qu’il
connaissait bien, en réduisant une tentative de critique globale de l’I.S., à
une psychose d’exclusion dont il a été le seul à présenter les symptômes. Si
Khayati a entrepris de lancer des calomnies particulièrement basses contre deux
membres de l’I.S., c’est dans des buts tactiques et pour camoufler ses propres
manœuvres. La vérité de ces pauvres mensonges réside dans le mensonge plus
global des rapports « politiques » dans lesquels l’I.S. s’est
enlisée. Mustapha Khayati, soucieux de s’élever dans la hiérarchie occulte de
l’I.S., et n’en imaginant la critique que sous la forme d’un travail de sape
effectué en son sein pour rogner les prérogatives enciées du chef, en était
réduit à pratiquer l’entrisme le plus plat assorti d’un non moins grossier
usage de la double pensée.
Notre critique, qui se situe dans la
perspective historique du mouvement révolutionnaire, a été communiquée par le
tract déjà cité : « La vérité est révolutionnaire », et sera
plus largement développée dans un texte à paraître incessamment.
La critique intérieure et la critique
extérieure se rejoignent maintenant dans le même mouvement : le point de vue développé par les anciens membres
de dernier bureau de l’A.F.G.E.S. dans leur texte : « Vous vous
foutez de nous, vous ne vous en foutrez pas longtemps » est
indissolublement lié au nôtre : une seule et même critique d’une situation
de mensonge générale.
Cet ensemble de mensonges
« politiques » assumé par tous les signataires de la petite circulaire antidatée du 15
janvier 1967 déconsidère à tout jamais ses auteurs d’un point de vue
révolutionnaire.
Strasbourg, le 19 janvier 1967.
Herbert Holl, Jean Garnault, Théo Frey
4. Rien que la merde, mais toute la merde
« Cette manière
de voir exclut aussi la réflexion dite psychologique qui, servant au mieux
l’envie, sait expliquer par le fond du cœur tous les actes et leur donner la
forme subjective en sorte que leurs auteurs auraient tout fait, par suite d’une
pasion petite ou grande, d’une affection,
et n’auraient pas été à cause de ses passions et de ces affections des hommes
moraux […].Ces psychologues s’attardent ensuite aussi surtout à prendre en
considération les particularités des grandes figures historiques, celle qui
leur reviennent en tant que personnes privées. »
G.W.F. Hegel, Introduction à la philosophie de l’histoire.
Le jour où l’Internationale situationniste
répandait sa petite circulaire
antidatée qui déjà se voulait définitive, nous diffusions au maximum un texte
motivant notre démission, « La vérité est révolutionnaire »,
ridiculisant par là leur prétention à
nous réduire au silence par un premier mensonge, celui de notre exclusion.
Décidés à les confronter à leurs propres falsifications, nous avons alors
publié « De la merde en milieu situationniste » qui expose des faits
indiscutables sur lesquels nous ne reviendrons pas.
Mais gens n’en sont pas à un trucage près
pour faire accréditer leur thèse : ainsi pour Edith Frey ; dans un
premier temps, on « oublie » la démission d’Edith absente lors de la
dernière réunion, démission annoncée par ses camarades devant tous ; le
tract signé par les quatre
démissionnaires ayant déjoué cette manœuvre, on essaye dans une deuxième temps
de faire comme si elle n’avait jamais été membre de l’Internationale
situationniste ; elle ne serait donc que la première à s’être compromise
dans la compagnie de ceux qu’on a osé, par un véritable délire falsificateur,
qualifier de truqueurs. Il se trouve que l’escamotage de ce détail était indispensable à la
représentation cohérente de leur mensonge : la reconnaissance de la
démission d’Edith eut rendu singulièrement plus malaisé la tentative de
présenter la démission des trois autres comme un accident dans l’histoire de
l’I.S., comme la pure et simple exclusion de trois menteurs.
Depuis ils ont fait beaucoup mieux. Soucieux
de garder à tout prix le monopole de la pensée révolutionnaire, les
situationnistes ne pouvaient tolérer une rupture
trop bien motivée (« L’Unique et sa propriété », quand il paraîtra,
en précisera le sens et la portée). Face à un tel défi, ils ont alors engagé en bloc leur « prestige » et
toute leur « rigueur » pour essayer de nous la boucler une fois pour
toute.
Les bruits les plus extravagants circulaient
dans les milieux les plus louches : on allait nous ridiculiser
définitivement. Nous attention la chose
avec curiosité ; notre attente n’a pas été déçue : ils ont été
ridicules comme jamais. Enfin, pour
comble, les exécuteurs de leurs basses besognes se trouvent être :
–
le
curé Joubert, dont l’Internationale situationniste affirmait dan son
numéro : « Il suffit de savoir que ce Joubert de Strasbourg est
l’animateur d’une revue protestante
moderniste qui se pique de citer parfois l’I.S. ou Marx. Au premier instant où
de telles larves théoriciennes ont essayé de nous approcher, elles se sont
entendues répondre que nous ne dialoguerons jamais avec des curés aussi
aberrants qu’ils soient ou puissent
devenir » (souligné par nous).
–
un
Bertrand, dont l’hostilité miséreuse à l’égard de l’I.S. s’est mué en
aplatissement dès qu’on lui en a ouvert un soupirail,
–
un
Schneider, qui pousse le masochisme jusqu’à traiter de « compilation
idéologique » un texte qu’il a contribué à écrire, cautionne tout ce beau
monde avec la rigueur qui lui est désormais reconnue.
La façon dont ces trois crétins mènent la
lutte I.S. contre nous est grotesque :
–
impliquer
et faire prendre parti un maximum de
gens contre nous, sans aucune considération qualitative,
–
étaler sur les murs de
Strasbourg leur pauvre tract flicard, auquel, pour leur, donner une leçon, nous avons immédiatement accolé son digne complément un
« produit des Scheidemann-Noske » que dans leur extrême crédulité ils
ont pris pour un tract nazi.
Tous ces faits donnent la mesure de l’incohérence et du désarroi
présent dans une I.S. qui écrivait jadis dans son numéro 6 : « Pour
venir nous parler, il convient donc de ne pas être déjà compromis soi-même, et
de savoir que, si nous pouvons nous tromper momentanément sur beaucoup de
perspectives de détail, nous n’admettrons jamais d’avoir ou nous tromper sur le
jugement négatif des personnes. Nos
critères qualitatifs sont bien trop sûrs pour nous permettre d’en
discuter. »
Le tract lui-même ne vaut guère mieux que ses
placardeurs, et comment pourrait-il en être autrement ? C’est aussi le
plus mauvais texte publié par l’Internationale situationniste. Tout le mensonge
de la version debordienne des événements apparaît déjà au niveau de
l’expression. L’apparence de rigueur logique obtenue à grand renfort de
d’« après quoi », « donc », « ainsi »,
« ainsi donc » ne suffit pas à masquer le vide du contenu : des
inférences à partir de démonstrations absentes. C’est un délire logomachique où
les faits apparaissent soit comme des mensonges délibérés, soit dans un
embarras inextricable que révèle la gêne dans les mots et la lourdeur
inhabituelle des calembours. Mais ce qu’il y a de plus con, et finalement de
plus salaud dans ce placard, c’est encore ce mélange de psychologie de
« maître d’école » et psychologie policière. Il ne juge que ses auteurs.
On comprend que dans ces conditions il ne
leur reste qu’à faire le plus large appel à un crédit dont le moins qu’on
puisse est qu’il ne risque pas de s’user très rapidement à un tel usage. En
« engageant délibérément » toute sa « rigueur » dans un
texte qui en est si totalement dépourvu, l’Internationale situationniste
présente aux yeux de tous l’image de sa propre décomposition.
Cette dégradation se manifeste à toutes les
lignes d’un texte dont ou peut encore s’amuser à relever quelques
inepties :
–
on
assiste par exemple à un décalage par rapport à la version initiales des
« faits » : nous ne serions plu seulement des menteurs mais
aussi et surtout des idéologues (ceci impliquant d’ailleurs un usage assez
grossier du concept). L’Internationale situationniste nous refait ici le coup
de la catharsis, Debord, tel un prestidigitateur utilise les trucs les plus
éculés ; pour masquer magiquement les insuffisances de l’Internationale
situationniste, il accueille toute critique interne comme une manifestation de
l’insuffisance de ceux qui la portent. Dans cette même « logique »,
il suffit alors d’« exclure » dès la formation d’une idéologie de la
cohérence ceux qui ont su la déceler. Cette idéologie de la cohérence,
apparaissant dans un milieu qui prétendait y échapper, ne fait que traduire et
renforcer la cohérence de l’idéologie globale.
–
Après quoi, on ne craint pas de
nous appeler « étudiants », dans un passage particulièrement risible
lorsqu’on connaît la « pratique » bornée de Paris (réunions sous-
mondaines alternant avec réunions « formalisées », projet d’ouverture
d’un ciné-club, etc.), et alors que personne n’ignore en quoi a consisté le
parachèvement de notre « vie étudiante » à Strasbourg (Cf. le tract
« Et ça ne fait que commencer »).
–
Après quoi, on sombre dans le ridicule avec la révélation de nos mobiles les
plus secrets : nous nous serions opposés en ennemis sournois à toutes les
capacités réelles que nous envierions ! Serait-ce le manque de
savoir-vivre de Vaneigem, la sotte naïveté de Nicholson-Smith, l’à-propos de
Bernstein, proposant une révolution culturelle en pleine conférence de
l’Internationale situationniste, quinze jours avant que la vraie n’éclate en
Chine ? Nous aurions pu à la rigueur être jaloux de Viénet qui est le plus
intelligent, mais sûrement pas de Debord qui est le plus bête.
Tout cela n’est pas sérieux.
À Strasbourg, le 2 février 1967.
Théo Frey, Jean Garnault, Herbert Holl, Edith
Frey
*
Dans
ces Annexes, on trouvait le tract-affiche : « Attention ! Trois provocateurs et son complément : Un
produit des Scheidemann-Noske ». On peut lire le texte du tact-affiche (entre
autres choses) à l’adresse suivante :
Quant à « Un produit des
Scheidemann-Noske », il s’agit de la reproduction bilingue (allemand-français)
d’une affiche anti-spartakiste : « Appel à tous les étudiants en état
de porter les armes ! » dont le texte français se prolongeait ainsi :
« En placardant sur les murs de
Strasbourg sont tract flicard : “Attention ! Trois provocateurs”,
l’Internationale situationniste s’est engagée dans la voie de sa petite
révolution culturelle. Puisse ce produit des “Scheidemann-Noske”, aussitôt accolé, contribuer à ses efforts
méritoires en vue de soulever la masse des étudiants contre ses vrais ennemis. »
(À
suivre)
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