Commentaire
Il ne saurait être question de débrouiller
ici cette « ténébreuse affaire » de démission / exclusion des
« garnaultins » où la vérité se perd dans les mensonges respectifs
des deux parties. Je laisse cela à plus informé. Néanmoins, le pamphlet
anti-debordien de ceux-ci apporte de précieux renseignements sur le
fonctionnement de l’I.S. Cela n’a pas échappé à Jean-Marie Apostolidès qui
écrivait dans Les Tombeaux de Guy Debord,
citant Garnault & Co. : « “La réalité de
l’I.S. n’a jamais correspondu à l’image que Debord s’efforce d’en présenter.
Groupe apparemment informel, l’Internationale situationniste est en fait
fortement structurée, avec son leader, l’Unique, et ses diverses prérogatives
soigneusement cachées par l’exigence sans cesse proclamée réelle des membres,
de la non-hiérarchie, de la participation, de la communication, de la
cohérence, etc. Ces exigences réelles ne mènent à l’I.S. qu’une existence
parodique. Si l’Unique contrôle et garantit la “légitimité” révolutionnaire des
autres, s’il dispose du pouvoir au sein d’un groupe qui se voulait la
dissolution de tous les pouvoirs, c’est que ce pouvoir a des bases bien réelles.
Il dispose de la revue (marque déposée dont il est le propriétaire), des
archives, de la boîte postale, de la phynance, sans compter une ancienneté dont
il jouit secrètement dans les périodes de calme, pour la proclamer ouvertement
et fièrement dans les grandes occasions. Créateur du mouvement, son action
répond à une double exigence contradictoire. Bien qu’ayant pris totalement en
main le mouvement dès ses débuts (reconnaissant lui-même, à l’occasion, que
dans les premiers numéros les comités de rédaction étaient entièrement bidon),
il s’est toujours employé à le faire apparaître pour ce qu’il doit être
réellement d’un point de vue révolutionnaire, une création collective. C’est la
contradiction centrale et insurmontable de l’Internationale situationniste :
comment participer et faire participer à quelque chose à quoi il est impossible
de participer parce qu’elle appartient à quelqu’un et qu’elle échappe à tous.” Sur ce point, il faut reconnaître que les garnaultins se montraient
lucides. »
« Lucides » : on ne saurait
mieux dire puisqu’ils mettent en lumière,
de l’intérieur, une réalité soigneusement occultée
qui n’était évidemment pas destinée à apparaître aux yeux du public (et qui
resterait telle jusqu’à ce que l’« assomption » de Debord comme
Unique soit achevée et qu’il puisse enfin apparaitre en majesté). La critique des garnaultins se focalise particulièrement
sur le fait que l’I.S. se présentait « comme un groupe de théoriciens
s’attachant à l’élaboration d’une nouvelle théorie révolutionnaire et aux
problèmes que pose sa communication dans le monde. » ; et que
« [c]ette attitude relève d’une conception mécaniciste de la théorie qui
s’élaborerait dans un petit groupe expérimental quasi-alchimique, où s’amorce
la réalisation de l’homme total, pour être ensuite distribué à ces bons sauvages que sont pour l’I.S. les différents
éléments de contestation et de critique épars dans le monde. » Ils
concluent : « Cette perspective est à la fois sous-léniniste et
sous-hégélienne ; sous-léniniste par sa conception éducative du dialogue,
sous-hégélienne par son abstraction, son hypostase et sa superfétation du rôle
de la théorie. » Là aussi les ex-situationnistes frappent juste.
Le réquisitoire se poursuit : « À
l’I.S. on assiste à un numéro métaphysique relevant d’un hégélianisme quelque
peu adapté aux qualités françaises telles que les définit Marx. La résolution
de la scission entre le subjectif et l’objectif s’opère dans l’identité
incarnée par l’Unique. Le syllogisme se décomposé en proposition majeure, il
n’y a pas de révolutionnaires hors de l’I.S., proposition mineure, l’I.S. c’est
Debord, conclusion, il n’y a de révolutionnaire au monde que Debord. On ne peut
que sourire devant cette prétention dérisoire à vouloir confisquer la
révolution. »
Les garnautlins ont très bien compris ce qui
faisait la spécificité de l’I.S. sur la « scène révolutionnaire » de
l’époque — et qui constituait pour une bonne part son pouvoir d’attraction auquel
ils avaient eux-mêmes succombé — où elle se démarquait incontestablement du
militantisme vulgaire par son « beau jeu » mettant en œuvre une
« esthétique de la révolte » particulièrement soignée : « Une
telle démarche relève d’une conception aristocratique de la révolte. Une
révolution se réduit à un grand jeu de société où il importe avant tout
d’accomplir de “belles actions” dans lesquelles il est ensuite possible de se
contempler avec une complaisance précieuse. Debord, véritable “Gondi” de
prisunic, ne fait que parodier le désenchantement d’un cardinal qui, face à la
trivialisation de vie quotidienne, jouait en se regardant jouer le jeu
esthétique d’une lutte sans espoir face à la monté de l’appareil
bureaucratique-bourgeois. » C’est un peu excessif, peit-être ; mais
il y a de ça. Debord n’écrivait-il pas dans Potlatch
(n° 26, 7 mai 1956), citant le livre de Pierre-George Lorris sur Retz :
« “De défaite en défaite les Mémoires
se poursuivent ainsi jusqu’au désastre final… ses Mémoires n’ont pas l’abattement d’un vaincu, mais l’amusement d’un
joueur… Retz atteint le seul but qu’il se proposait…” / L’extraordinaire valeur
ludique de la vie de Gondi, et cette Fronde dont il fut l’inventeur le plus
marquant, restent à analyser dans une perspective vraiment moderne. »
On retrouve chez les garnaultins une
obsession de l’époque : la constitution du « parti
révolutionnaire » sans laquelle il ne saurait évidemment être question de
Révolution. Seulement, il y a une certaine inconséquence de leur part à
reprocher à Debord et à son I.S. de
ne pas travailler sérieusement à la constitution de ce parti et de se
revendiquer comme de purs théoriciens alors qu’ils dénoncent la conception
debordienne de la révolution comme d’un grand « jeu de société » où
il importe avant tout de s’illustrer par de « belles actions » — un
« jeu » qui, de plus, est voué
à l’échec : les causes perdues ne sont-elles pas les plus belles ?
Comme on sait, le « coup d’éclat »
des garnaultins fut un coup pour rien. La liquidation de l’I.S. n’interviendra
que quelques années plus tard ; et c’est Debord lui-même qui mettra fin à
la partie qu’il avait engagée et qu’il avait perdue. La boucle était bouclée.
Vous croyez déconstruire une histoire de l’Internationale situationniste avec les récits des éclopés et des exclus de l’I.S. et atteindre ainsi à une vérité sur Debord ?
RépondreSupprimerVous croyez “casser la baraque“ avec tous ces incapables qui n’ont jamais rien fait ?
Votre animosité vous aveugle et vous faites fausse route avec ces fragments de critique : ça ne vous mène qu’à une nuit de la dialectique où toutes les vaches de la critique sont grises.
Mais bientôt vous allez sans doute nous expliquer que Mai 68 fut une illusion, que les situationnistes n’y étaient pour rien et même n’y ont rien fait et vous vous appuierez bien entendu sur Jean-Marie Apostolidès, ce pauvre aveugle qui justement à Nanterre en 1968 n’a rien vu ni compris mais qui, 35 ans plus tard et dans la peau de Tintin, nous livre en 2003 avec son ouvrage “Héroïsme et victimisation“ « une analyse des événements de mai 68 et de ses répercussions, bonnes et mauvaises, sur la société française à l'aube du XXIe siècle ».
Allez, bon courage dans votre petite entreprise et soyez sûr que vous nous ferez toujours rire !