Nous intéresserons à présent aux deux images
de jeu qui occupent respectivement la 2e et la 14e place dans la série des
24 images rassemblées à la fin du scénario d’In girum.
Image 2 – Légende
« On
m’avait parfois reproché, mais à tort je crois, de faire des films difficiles :
je vais pour finir en faire un. »
Image 14 – Légende
« “C’est si simple les
échecs !” »
Le Kriegspiel
de l’mage 2 est une création de Debord lui-même. À la fin de Critique de la séparation (1961), il
lançait déjà comme un défit : « Je commence à peine à vous faire
comprendre que je ne veux pas jouer ce jeu-là. » Debord n’a jamais voulu
jouer qu’à (et que) son propre jeu — et en rester le maître. Ce Kriegspiel va réapparaitre à différents
reprises dans des configurations différentes.
Ainsi, quand il évoque « l’assassinat de
Paris » conjointement à la révolte de mai 68 : « “[…] Il faudra
la quitter, mais non sans avoir tenté une fois de s’en emparer à force
ouverte ; il faudra la quitter, après d’autres choses, pour suivre la voie
que déterminent les nécessités de notre étrange guerre, qui nous a menés si
loin.” / Travelling sur un “Kriegspiel”
où s’affrontent deus armées. »
La première apparition de ce jeu vient
illustrer analogiquement la difficulté du film que Debord présente : il
faudra être plus qu’un simple spectateur pour en pénétrer les arcanes.
L’image 14 est extraite des Visiteurs du soir. Elle se situe juste
après l’arrivée du diable au château du Baron Hugues. Après avoir examiné
brièvement une partie d’échec en cours qui semble perdue à l’un des joueurs, il
met échec et mat son adversaire en un seul coup, d’où sa réplique :
« “C’est si simple les échecs !” » Qu’est-à dire ? La
réponse est à double sens : les échecs sont un jeu facile ; ou :
il est facile de perdre. Mais Debord n’ouvre pas son film sur l’image d’un jeu
d’échecs. Si on le compare au Kriegspiel,
le jeu d’échecs* n’est justement qu’un jeu ; mais ce n’est pas le jeu
auquel Debord veut jouer. Son Kriegspiel
est un simulateur de l’« étrange guerre » en cours — plus qu’un
simple jeu, c’est un outil : une machine de guerre.
___________________
* « “Et que dites-vous”, répondit le
seigneur Gasparo “du jeu des échecs” ? / “C’est certainement un
passe-temps honnête et spirituel”, dit messire Federico, “mais il me semble
qu’il possède un seul défaut, qui est qu’on peut y être trop savant, si bien qu’il est nécessaire,
je crois, à celui qui veut être excellent dans le jeu des échecs, d’y employer
beaucoup de temps, et d’y prendre autant de peine que s’il voulait apprendre
quelque noble science ou faire tout autre chose de grande importance ; et
pourtant à la fin, avec toute sa peine, il ne saura rien d’autre qu’un jeu.
C’est pourquoi je pense qu’en cela il arrive une chose fort rare, qui est que
la médiocrité est plus louable que l’excellence.” »
Baldassar Castiglione, Le Livre du courtisan.
(À suivre)
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