8. Imposture, mimétisme et vampirisme : La Fête à Venise
« Il paraît clair, en lisant sa risible Fête à Venise, qu’il veut insinuer qu’il a participé jadis à la Conférence de Venise : qu’il a figuré de sa personne au nombre des mythiques “situ clandestins”. », écrit Debord à Annie Le Brun. Voyons ce qu’il en est.
Au début du livre, le narrateur écrit : « J’ai changé. L’expression est faible, mais quelle autre employer ? Je ne vais quand même pas écrire un récit fantastique, style : personne ne se doute que j’ai pris la place de l’autre, de celui qui m’a précédé sous cette forme, il est sorti et je suis entré, la substitution est passée comme une lettre à la poste. Ce ne serait pourtant pas un mauvais sujet : imaginez un acteur confronté à mille détails quotidiens, aux proches, obligé d’attendre, d’observer, de se reprendre — “ah oui, j’avais oublié” —, paraissant de plus en plus égaré, atteint, tumeur, gâtisme, alors que c’est le contraire (il s’habitue, il va mieux). On se regarde dès qu’il a le dos tourné, air entendu, accablement des épaules. Le même, l’autre. Le même dissimulant qu’il est habité par l’autre, mais lequel, depuis quand, à partir de quoi, dans quel but ? Maladie ou ruse ? Son vieux goût maniaque du secret, par principe, pour rien ? Pourquoi le croire davantage aujourd’hui qu’hier ou avant-hier ? En réalité personne — ni père, ni mère, ni frère, ni sœurs, ni fonctionnaires, ni femmes, ni amis, ni enfants — ne remarquerait le remplacement, et la découverte serait là, dérisoire, énorme. » Il est trop fort Philippe !
J’épargnerai au lecteur une relation détaillée du livre. Je me contenterai de quelques (bas) morceaux choisis.
Mais tout d’abord, la quatrième de couverture qui donne le ton : « Que fait au juste Pierre Froissart, écrivains clandestin, l’été, dans un petit palais de Venise ? Pourquoi est-il accompagné de cette jeune physicienne américaine, Luz, avec laquelle il a l’air de si bien s’entendre ? Activités illégales ? Drogue ? Trafic d’œuvres d’art ? Mais quel est alors le réseau international qui l’emploie, lui et certains de ses anciens amis ? Et que représente au fond cette toile de Watteau qu’il doit acheminer vers son but secret ; cette peinture célèbre et recherchée qui donne son nom au roman et l’entraîne peu à peu, comme d’elle-même, dans une révélation de l’Histoire ? »
Get the picture ?
On sait que Sollers était persuadé avoir écrit , avec sa Fête à Venise, le roman du Spectacle ; c’est-à-dire l’équivalent romanesque de La Société du spectacle, excusez du peu. Debord trouvait le livre « risible » — sans évidemment l’avoir lu : d’ailleurs on ne lit pas les romans de Sollers. La prose sollerssienne se parcourt : c’est de la littérature de passage. Voyons néanmoins ce que l’on peut retenir, en passant, des reliefs de cette pauvre Fête.
(À suivre)
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