9. Vendetta : Voyer versus Debord
À partir de là, Voyer — alias : Oberdada Hegelsturmführer Voyer — va tirer à boulets rouges sur le camp « marxo-situationniste » retranché dans le Champ Libre et sur Debord en particulier. L’assassinat de Lebovici ne modérera en rien — bien au contraire — sa fureur vindicative dont voici quelques échantillons choisis.
Extrait d’une lettre datée du 26 janvier 1985 adressée à Champ Libre ; « […] Quels que soient les meurtriers de Lebovici, c’est fort bien ainsi pour cette simple raison que ces meurtriers ne peuvent être pires que Lebovici. Au moins, un policier, une barbouze, un nazi se contentent de faire leur sale métier sans y joindre l’hypocrisie la plus outrée. Ils ne posent pas, par la suite, en saintes nitouches révolutionnaires, en ennemis irréductibles du vieux monde, comme certains situationnistes, comme Lebovici l’ordure. / D’une façon ou d’une autre, je suis vengé. Votre cause est mauvaise. Si falsifier n’est pas falsifier, tuer n’est pas assassiner. » Le 4 mars 1985 : « Mesdames et messieurs “Les Éditeurs”, / Joyeux anniversaire. / Cela fait un an qu’un audacieux inconnu me rendit, peut-être même sans s’en douter, un service de type définitif. Cela fait plaisir de savoir qu’il peut exister dans ce monde quelque chose de bien, que tout n’est pas nécessairement pourri comme vous l’êtes, que tous les salauds ne demeurent pas nécessairement impunis mais que certains doivent payer immédiatement leur forfaiture. / Vous pouvez dire et faire ce que vous voulez. La salope est crevée et elle est crevée dans la peau d’un falsificateur. Vous n’y pourrez jamais rien. »
Cela a pu choquer quelques « belles âmes » trop sensibles — mais ce n’est pas à elles que nous nous adressons — qui n’en revenaient pas que l’on puisse faire montre d’un tel manque de compassion et d’une telle violence : cracher sur une tombe ! Pourtant : « Avez-vous déjà giflé un mort ? », demandait en son temps — celui où les surréalistes avaient raison — Louis Aragon qui concluait sa contribution à Un Cadavre par : « […] Il reste peu de chose d’un homme : il est encore révoltant d’imaginer de celui-ci, que de toute façon il a été. Certains jours j’ai rêvé d’une gomme à effacer l’immondice humaine. » Nous passerons donc sur ces « outrances » ; parce que, en tout état de cause, il faut quand même rappeler que c’est bien à Voyer qu’initialement on a fait du tort : « chier dans [s]es bottes », comme il le dit dans son « langage fleuri ». Par parenthèse personne ne semble avoir été choqué par les (mauvaises) manières de Debord quand, après la mort de Lebovici, il a décidé, sous un prétexte futile*, de claquer la porte du Champ Libre et de faire pilonner tous ses livres pour finir par rejoindre en grande pompe l’écurie Gallimard trop heureuse de récupérer in fine l’intransigeant leader situationniste.
Je laisserai au lecteur le plaisir de découvrir les lettres (d’injures)** dont Voyer a abreuvé Debord jusqu’à plus soif (comme il se doit) et au-delà de la fin. Je ne citerai que celle-ci — écrite en caractères gothiques — caractéristique de son Umour (noir) qu’on a plutôt salué chez d’autres mais qu’on ne semble pas avoir goûté chez lui : « Meudon, 13 mars 1993. / Alt enculiert, / En ce premier beau jour du mois de mars que je consacre habituellement à cracher sur la tombe situationniste (qui le dispute en ridicule à celle de Sainte-Beuve) du falsificateur juif Lebovici, j’ai, pour changer un peu, fleuri la tombe de Céline. Comme, un bouquet de jonquilles à la main, je demandais au gardien du cimetière où se trouvait cette tombe, il hésita un peu puis me répondit : “Je ne peux vous le dire car la veuve de Céline s’y oppose… Cependant vous n’avez pas l’air d’une personne qui profane les tombes…”. Comme les apparences sont trompeuses. Ah ! la vie est toujours verte. / Hegelsturmfüfrer Voyer. »
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* Le 4 février 1991, Debord écrit « Aux actuels propriétaires des Éditions Gérard Lebovici / MM. Nicolas Lebovici et Lorenzo Valentine » : « Je découvre fortuitement, à la quatrième page de couverture d’une réédition actuellement en vente de La Société du spectacle, et dont personne ne m’avait averti, une présentation nouvellement rajoutée à mon insu (pièce jointe). Cette présentation, qui avait été écrite par moi, a figuré dans la première édition du même livre en 1971, et dans les toutes premières réimpressions qu’il a eues vite alors. Cependant il est bien notoire que, très peu d’années après, ladite présentation avait été supprimée d’un commun accord entre Gérard Lebovici et moi ; parce que devenue inutile à cause de la célébrité même de ce livre. Elle a donc été constamment absente depuis dans les nombreuses éditions ultérieures. Outre l’inacceptable désinvolture d’un tel abus de confiance, la réapparition arbitraire de cette notice explicative, devenue si manifestement archaïque après vingt années, est de nature à léser très visiblement la réputation d’un ouvrage qui a été si longuement confié à votre Maison, quand elle était dirigée par vos parents. Je vous somme donc de retirer à l’instant de la vente et de faire détruire sous le contrôle d’un huissier, votre édition falsifiée. […] » On voit que Debord ne transige pas avec la « falsification » quand elle le concerne directement. Le 19 février 1991, il remet ça et en rajoute une couche : « Pour faire suite à ma lettre du 4 février 1991 à laquelle vous n’avez pas répondu : / D’une part je vous interdis formellement de publier le tome 2 de panégyrique tel que vous m’en avez adressé le montage, lequel ne correspond en aucun cas à ce que j’envisageais. / D’autre part et en raison de nombreuses difficultés qui nous opposent, je confie la défense de mes intérêts à Maître Y. Cournot Avocat à la Cour auquel je demande de prendre contact avec vous. » Pour terminer voilà comment il présentera la chose dans “Cette mauvaise réputation” : « […] À la suite du changement de génération dans la propriété de cette maison [Les Éditions Gérard Lebovici ex Champ Libre], j’ai retiré ma confiance à la famille Lebovici ; j’ai fait savoir que je les quittais en tout cas. Ils ont promptement été amenés à conclure qu’ils n’avaient plus qu’à se mettre en liquidation. J’ai fais pilonner tous mes livres parce que je ne voulais pas laisser des suspects tirer un profit de prestige du seul fait d’apparaître encore liés à moi, et d’autant moins y trouver l’occasion de manipuler encore des sommes incontrôlées : je considérerais que le monde serait trop scandaleusement à l’envers, si pour finir je laissais des bourgeois s’enhardir jusqu’à rêver de me voler. […] »
** Il pourra se reporter au site du Maître : http://leuven.pagesperso-orange.fr/ ou se procurer : Limite de conversation auprès de son dernier éditeur Karl von Nichts : http://www.editions-anonymes.fr/
(À suivre)
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