dimanche 19 février 2012

Sollers / Debord : Histoire d’une idylle contrariée / 5

5. Une pantalonnade : Plhilippe Sollers en Guy Debord

On voit que Debord n’a pas particulièrement encouragé Sollers en faisant, ne serait-ce qu’un pas, dans sa direction. Qu’à cela ne tienne puisque Guy ne voulait pas venir à lui, c’est lui qui irait à Guy — qu’il le veuille ou non. Et pour ce faire, il suffisait d’en endosser le costume et d’en adopter la pose : c’est « le devenir Debord », comme dirait l’autre. Dont voici quelques étapes — les citations qui suivent son tirées  du Discours parfait, folio.

« Qui a dit “le devenir-falsification du monde est un devenir-monde de la falsification” ? Le gnostique Debord. Mais écoutons encore l’Évangile selon Philippe : “Ce monde est un mangeur de cadavres. Tout ce qu’on y mange est mortel. La vérité est une mangeuse de vie. Voilà pourquoi aucun de ceux que nourris la vérité ne mourra.” » Paroles secrètes, p. 108.

À la question : « Les gnostiques dénoncent le règne de l’“oubli” et de la “fabrication mensongère”. Même si ce règne domine le monde sans partage, ils pensent qu’on peut le vaincre à tout moment. Est-ce aussi votre avis ? Et si oui, à quelles conditions ? En admettant, comme les gnostiques, que le monde soit truqué de part en part — et plus que jamais à l’ère de “spectaculaire intégré”, selon l’expression de Guy Debord —, peut-on accéder à autre chose qu’au trucage ? […] » Philippe répond : « […] Les gnostiques ne cherchent pas à vaincre le monde. Ils ne poursuivent que le salut. Le monde demeure le partage du mauvais. Peu importe que le monde soit truqué, ce qui compte c’est la guerre entre la damnation et le salut. Debord, on lui rendra les hommages convenus, mais il reste pris dans le social. Trop de social entrave la dimension libre du temps. Il parle depuis sa singularité, dans une solitude tout à fait gnostique, tout en prétendant s’exprimer au nom d’une communauté imaginaire. C’est le problème des communautés : elles sont toutes imaginaires. […] / […] Les échecs ne sont qu’un moyen d’apprendre à vaincre. Il est interdit d’échouer quand on est confronté à la “Grande Guerre”, celle que décrivent les manichéens. On peut saluer les combattant héroïques, même quand ils ont collu la défaite. Mais sans se laisser empêtrer dans la fascination de la déroute. Debord a perdu, salut ! » La connaissance comme salut, pp. 129, 145, 146.

À la question : « Vous avez eu le bon accueil des éditions du Seuil pour éditer la revue Tel Quel… » Philippe, un peu irrité répond superbement : « Attendez ! D’abord, à l’époque, je suis best-seller. Et, au lieu d’exploiter le filon, je fais une revue : premier blasphème, première mauvaise note. J’ai une très mauvaise note à mon dossier. J’ai une très mauvaise réputation, comme dit l’autre, mais différente de celle que Debord a eue. Lui, c’était le refus complet. Chacun son style. » Technique, p. 673.

À la question : « La métaphore de la guerre traverse toute votre œuvre. Elle est présente dans vos titres. La Guerre du Goût, Guerres secrètes, vos thèmes, la guerre des sexes, la stratégie chinoise… Sollers serait-il en guerre ? Et contre quoi ? » Philipe, qui n’y va pas avec le dos de la cuillère, répond carrément : « Je suis en guerre contre tout, famille, société… C’est pour ce la que j’ai aussi intitulé mon film sur Guy Debord Une étrange guerre*. Debord est l’exemple d’un grand général qui a perdu sa guerre. Il a gagné son échec. C’est énorme. Mais nous ne sommes pas là pour perdre la guerre que nous menons, il faut la gagner. Et gagner la guerre, cela consiste à faire plusieurs chose à la fois, à avoir des identités multiples, à mener des combats contre l’Adversaire, le diable si vous voulez… » La littérature ou le nerf de la guerre, p.690.

À la question : « Vous avez parlé de Spectacle. Alors, la figure de Debord, qui traverse le livre, est-elle pour signaler que l’on est dans le roman que devait produire la Société du spectacle ? » Philippe, qui biche**, répond : « Il me semble que ce roman correspond, profondément, aux thèses du livre de Debord Commentaires sur la société du spectacle, paru en 1988. » La Fête à Venise, p. 817.

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* Nous reviendrons sur cet opus sollerssien qui est remarquable à plusieurs titres.

** Il faut dire que Philippe était interrogé pour l’occasion par Josyane Savigneau qui est l’une de ses plus ferventes admiratrices — il y avait aussi Jean-Louis Brochier ;  mais celle qui le kif c’est la belle Josyane.


(À suivre)

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