vendredi 9 août 2013

Quelques citations de Leopardi tirées du Zibaldone di pensieri à l’usage du lecteur en vacance / 2



Aucune loi ne peut empêcher d’enfreindre ou de désobéir à la loi.

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Les œuvres de génie ont le pouvoir de représenter crûment le néant des choses de montrer clairement et de faire ressentir l’inévitable malheur de la vie, d’exprimer les plus terribles désespoirs, et d’être néanmoins toujours une consolation pour une âme supérieure accablée, privée d’illusions, en proie au néant, à l’ennui, au découragement ou exposée aux peines les plus amères et les plus mortifères […]. En effet, les œuvres de génie consolent toujours, raniment l’enthousiasme et, en évoquant et en représentant la mort, elles rendent momentanément à l’âme cette vie qu’elle avait perdue : ce que l’âme contemple dans la réalité l’afflige et la tue, ce qu’elle contemple dans les œuvres de génie qui imitent ou évoquent d’une autre manière la réalité des chose […], la réjouit et lui redonne la vie.

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Un peuple entièrement raisonnable ou philosophe ne pourrait subsister faute de mouvement et de personnes prêtes à accomplir les unes envers les autres les tâches nécessaires à l’existence, etc., etc. Regardez donc ces hommes (il y en a tant aujourd’hui) las du monde, désenchantés par leur longue expérience et, pour ainsi dire, devenus complètement déraisonnables. Ils sont incapables de s’engager dans aucune action, incapables d’avoir aucun désir.

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Qu’avons-nous donc appris de tant d’études, de tant de fatigues, d’expériences, de sueur, de douleurs ? et la philosophie, que nous a-t-elle enseigné ? Ce qui nous était naturelle quand nous étions enfants et que nous avons perdu et oublié à force de sagesse ; ce que nos aïeux incultes et sauvages savaient et faisaient sans songer à être philosophes, sans peine ni recherches, sans observations ni profondeur, etc.

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Aucun siècle, même le plus barbare, ne s’est jamais cru barbare ; il n’en est même aucun qui n’ait cru incarner la fine fleur de tous les siècles et qui ne se soit considéré comme l’incarnation de la perfection de l’esprit humain et de la société. Méfions-nous donc des jugements que nous portons sur notre époque, ne regardons pas l’opinion actuelle mais les faits et essayons d’imaginer ce que sera le jugement de la postérité – dans la mesure où elle sera capable de juger correctement (12 février 1821).

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Je n’hésite pas à le prédire : l’Europe entièrement civilisée sera la proie de ces semi-barbares qui la menace depuis confins du Septentrion ; et quand ces conquérants deviendront à leur tour civilisés, le monde retrouvera son équilibre. Mais tant qu’il restera des barbares dans le monde, ou des nations nourries d’illusions puissantes, convaincantes, durables et irraisonnées, les peuples civilisés seront leur proie. Lorsque, plus tard, la civilisation, qui se montre aujourd’hui une conquérante avide, puissante, insatiable, n’aura à son tour plus rien à conquérir, alors, ou bien l’on retournera à la barbarie, et si c’est possible, à la nature par un nouveau chemin radicalement opposé au chemin naturel, c’est-à-dire celui de la corruption universelle comme à la Basse époque, ou bien… je ne saurais aller plus avant dans mes prédictions. Le monde entrera alors dans une autre phase adoptant comme une essence et une existence nouvelle. (24 mars 1821.)


(À suivre)

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