lundi 5 août 2013

Après l’apothéose – Notes à l’usage des debordolâtres / 4



Les fiches publiées à la fin du Catalogue de l’exposition de la BnF concernant ce projet de « pamphlet swiftien » qui se serait appelé : Les Erreurs et Échecs de M. Guy Debord par Un Suisse impartial ou bien encore : Mémoire sur les fautes et les crimes de Guy Debord sont postérieures à 1984. Le Panégyrique date de 1989. Ce projet auquel Debord a renoncé était en fait un Panégyrique avant la lettre ; ou plutôt une sorte de panégyrique à l’envers — si l’on peut dire. On peut d’ailleurs noter une certains nombre de similitudes entre ces fragments d’un livre abandonné et Panégyrique ; par exemple l’évocation de la naissance à Paris dans une famille bourgeoise ruinée par la crise et ce qui s’en suit ; et l’on retrouve dans les deux la même citation détournée : « On aime mieux la chasse que la prise. » dans Panégyrique ; qui dans Erreurs et Échecs devient : « Il a aimé la chasse plus que la prise. » Il s’agit d’une citation de Pascal : « C’est le tracas qui nous divertit ; raison pourquoi on aime mieux la chasse que la prise. »

La question se pose de savoir pourquoi Debord a abandonné la forme du pamphlet anonyme, écrit « du point de vue social dominant », et manifestement dirigé contre lui. Celui-ci devant paraître chez Champ Libre, il a pu penser que la supercherie aurait sans doute été trop vite éventée ; ou peut-être Debord s’est-il avisé du danger qu’il y avait à se placer dans la situation d’être son propre critique : connaissant trop bien le sujet, il courait le risque de se découvrir plus qu’il ne l’aurait souhaité. On s’aperçoit par comparaison que, si les portraits brossés d’un côté par le « critique » et de l’autre par le panégyriste se ressemblent évidemment puisqu’il s’agit de la même personne, le fait de devoir parler négativement de lui a incité Debord à plus d’âpreté — et peut-être à plus de vérité.

Il est évidemment difficile de savoir si d’avoir endossé le rôle du Suisse impartial n’aura pas, au contraire, incité Debord à forcer le trait et à aller plutôt dans le sens de la caricature — mais une caricature peut être plus parlante que le meilleur portrait. Une certaine ambigüité subsiste là aussi ; sans doute voulue. Il n’empêche que le portrait qui se dessine dans Erreurs et Échecs est, disons, plus réaliste que la figure de « grand seigneur » qui fait superbement le bilan de sa carrière dans le Panégyrique. Pour simplifier, il y a d’un côté un portrait dans le genre classique où le personnage prend avantageusement la pose pour la postérité ; et de l’autre une eau-forte où les traits plus nettement découpés le montrent sans afféteries. (La vérité se situe sans doute entre les deux.) Debord apparaît là comme un esprit essentiellement négatif et négateur : un nihiliste qui ne soucie pas de construire quoi que ce soit. Un manipulateur — voire un imposteur — dont les objectifs doivent rester assez vagues et généraux — si tant est qu’il vise un but précis puisque, aussi bien, il est présenté comme un joueur qui « a aimé le jeu, mais non pour en tirer quelque résultat ». Le critique souligne aussi, à travers ce goût pour le jeu, le côté puéril du personnage : un grand enfant qui aime les « jeux de bataille », les « labyrinthes urbains » où l’on peut se perdre — comme dans les « tavernes mal famées » où l’on joue à s’encanailler ; il n’oublie pas non plus son ivrognerie impénitente et revendiquée à propos de laquelle Debord s’étonne lui-même qu’on ne la lui ait jamais imputée à charge.

Pour conclure, il faut s’arrêter sur une phrase de ce réquisitoire du Suisse clairvoyant : « [N]ous ne pensons pas davantage qu’il soit difficile de montrer ses erreurs et ses fautes, ou plutôt les principales d’entre elles, et ceci sans jamais se risquer à des interprétations aventurées, ou qui pourraient sentir la malveillance ; mais seulement en s’en tenant à ce qui est exprimé dans ses propres écrits incontestés, ou dans ce qui est tout de même notoire dans sa conduite qui n’a pas toujours été si mystérieuse qu’on l’a dit maladroitement. » Ce qui veut dire que Debord via le Suisse affirme que l’on peut tout à fait porter un jugement sur lui et son action en se référant simplement à ce qu’il a écrit et à ce que l’on peut savoir de ce qu’a été sa vie. Cela laisse le champ libre à une saine critique qui ne devrait pas manquer de se développer ces temps prochains.

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