mardi 5 juin 2012

Commentaires sur In girum / 7


« Il faut neiger sur ses pas ; il faut faire attention d’effacer toute trace si on veut laisser quelque chose qui soit dans la mémoire des gens […]. », cette remarque en forme de paradoxe, faite par Marc’O lors d’une conversation avec le jeune Debord*, s’applique parfaitement à la manière dont celui-ci conduira sa vie, à condition d’y opérer une légère correction : il faut faire attention à ne pas effacer toutes ses traces — sans quoi plus personne ne peut suivre. « Il faut neiger sur ses pas. » : la formule dans sa tournure poétique constitue la devise idéale pour un blason. Tout ce que Debord a entrepris se retrouve dans le jeu de ce paradoxe, entre une disparition pure et simple — l’oubli — et une quasi disparition — l’occultation : s’effacer pour mieux marquer la mémoire. Ce dispositif fonctionne dans toute l’œuvre de Debord, qu’elle soit littéraire ou cinématographique ; et ce d’autant mieux que, contrairement à Vaneigem qui est l’homme de la profusion, Debord a, quant à lui, toujours pratiqué un art de la retenue. Il n’y a sans doute pas une seule page publiée de son vivant où tout n’a pas été pesé, compté, mesuré de façon à ce que ce qui est dit le soit avec une économie de moyen et une précision extrême dans la formulation — ce qui constitue aussi un miroir aux alouettes.

Une autre des caractéristiques de l’œuvre debordienne est de constituer un tout fermé sur lui-même ; tous les éléments qui y entrent sont pris dans un système de relations où ils jouent : ils peuvent être déplacés, modifiés, reconfigurés sans que l’ensemble perde de sa cohérence — comme si dans ce jeu tous les coups avaient été prévus à l’avance. C’est ainsi que l’on retrouve dans tous ses films les mêmes images, souvent recadrées, les mêmes visages, les mêmes formules, parfois légèrement modifiées, pour dire la même chose — ou presque. Parce qu’il n’y a rien d’autre à raconter. C’est toujours la même histoire ; celle de la « longue révolution » qui dévore à mesure ses enfants perdus : « […] ce sont des jours et des nuits, des villes et des vivants, et au fond de tout cela, une incessante guerre. »

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* Interview de Marc,O pour la série de quatre émissions consacrées à l’I.S. en 1996 sur France culture.


 (À suivre)

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