lundi 4 juin 2012

Commentaires sur In girum / 6


On peut s’étonner que ce film n’apparaisse pas, même à titre de citation fugitive, dans In girum, ni dans aucun des films précédents de Debord ; pourtant, on peut dire que si sa présence n’est pas manifeste, c’est peut-être parce qu’elle s’y trouve comme en filigrane ; et que, même, il y affleure, par moment. Nous avons vu qu’une allusion y est faite dans le court métrage de 1959, Sur le passage de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps, avec la phrase suivante : « Ils disaient que l’oubli était leur passion dominante. Ils voulaient tout réinventer chaque jour ; se rendre maîtres et possesseurs de leur propre vie. » Dans le film qui est tiré de La Société du spectacle on peut en trouver une autre, plus indirecte, sous la forme d’un extrait de Confidential Report d’Orson Welles ; on y voit Arkadin, au cours d’un bal masqué qu’il donne dans son château en Espagne, raconter de petites histoires à ses hôtes en portant à chaque fois un toast ; dont celle-ci : « J’ai rêvé d’un cimetière où les épitaphes étaient bizarres, 1822-1826, 1930-1934… on meurt bien jeune ici, dis-je à quelqu’un ; un temps très court entre la naissance et la mort. Pas plus qu’ailleurs, me répondit-on, mais ici seules comptent pour années de vie les années qu’a duré une amitié. Buvons à l’amitié ! » On trouve dans Juliette ou la clef des songes une séquence qui a également pour cadre un cimetière où le rêveur est conduit par un habitant du village sans nom, sur la tombe où est sensée être enterrée la Juliette qu’il est venu chercher, mais qui est introuvable parce que les sépultures ne portent pas de nom elles non plus. On se souviendra aussi qu’Arkadin, dans Confidential Report, est un magnat dont la vie est entourée de mystère, tant pour les autres que pour lui-même, puisqu’il a perdu la mémoire ; il est ainsi contraint d’avoir recours à un détective pour retrouver les traces de son passé — en fait son but est d’éliminer les uns après les autres tous les témoins de son ascension criminelle que l’enquêteur va retrouver pour lui.

Pour finir, on trouve dans In girum une allusion encore plus lointaine à Juliette, sous la forme de deux extraits tirés d’Orphée de Jean Cocteau qui passent pendant que Debord en voix off évoque sa jeunesse et les débuts de l’internationale lettriste ; ils sont entrecoupés par une scène de La Nuit de Saint-Germain-des Prés, elle-même précédée d’un plan fixe montrant Andreas Baader et de Gudrun Ensslin : « La plus belle jeunesse meurt en prison. ». Le premier des extraits se situe au début du film où l’on assiste à une descente de police au Café des Poètes ; la seconde vient après l’évocation de l’I.L. ; on y voit Maria Casarès — une figure de la Mort — qui dit, ces paroles énigmatiques : « Les uns croient qu’il pense à nous, d’autres qu’il nous pense ; d’autres qu’il dort et que nous sommes son rêve, son mauvais rêve. » Cette séquence se trouve vers la fin du film dont il faut dire quelques mots. Il date de 1949 — on rappellera que c’est Cocteau qui est venu présenter le film d’Isou à Cannes en 1951 — et c’est une transposition de la légende d’Orphée ; Jean marais y incarne Orphée. Pour l’intelligence de la citation qu’en fait Debord, il faut revenir au moment où Orphée suit la Mort qui ramène un cadavre dans sa demeure. On assiste au dialogue suivant : « – Suivez-moi Monsieur… Décidément, vous dormez. / – Oui, je dors… c’est très curieux. Enfin, Madame, m’expliquerez-vous ? / – Rien. Si vous rêvez, si vous dormez, acceptez vos rêves ; c’est le rôle du dormeur. » Et plus loin quand Orphée lui demande des explications sur les ordres que la figure de la Mort dit avoir reçus : « – D'où viennent ces ordres ? / [...] / – J'irai jusqu'à celui qui donne ces ordres. » ; elle lui fait cette réponse : « Mon pauvre amour, il n'existe nulle part. »


(À suivre)

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