mardi 15 mai 2012

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Signalons la publication du livre de Miguel Amorós : Les Situationnistes et l’anarchie, Éditions de la Roue.

Extraits de la Préface

Ce qui frappe dès l’abord dans ce livre, c’est l’extraordinaire richesse séditieuses des années 1960, et le contenu essentiellement libertaire de la contestation, qui explique comment l’I.S. a réussi, avec de très faibles moyens mais une grande intelligence critique, à marquer de son empreinte le projet de révolution sociale qui était alors réalisable : les aliénés eux-mêmes ayant déjà entrepris le travail de désaliénation, une poignée d’individus leur apportait des armes dont la suite de l’histoire allait démontrer l’efficacité.

[…]

Pour évoquer cette période, l’auteur, Miguel Amorós, s’est appuyé sur l’étude d’une importante masse de documents, de correspondances (certaines inédites), de brochures, d’éditions critiques, ainsi que sur des conversations directes avec certains protagonistes ; il a ainsi dressé un tableau détaillé et précis des rapports qui s’établirent entre l’univers libertaire et l’I.S. avant la révolte de Mai 68 et jusqu’à son irruption. / Cependant, pour le malheur de la génération suivante, la médaille avait son revers, que l’auteur met en lumière sans complaisance, et qui se révéla dans sa triste réalité dès le début des années 1970. Ici, en effet, s’impose bien un constat d’échec majeur de l’intervention situationniste, échec largement déterminé — outre la présence, chez certains protagonistes, d’aspect idiosyncrasiques dont la nocivité persistante ne doit pas être passée sous silence — par une erreur d’appréciation du moment historique dont la première manifestation éclatante fut le « fiasco américain », si l’on peut qualifier ainsi la déroute organisationnelle que connut l’I.S. aux États-Unis, mais également en Grande-Bretagne.

[…]

Il suffit d’ailleurs de se rappeler l’enthousiasme avec lequel l’I.S. (n°12) annonçait en 1969 le retour du « prolétariat vaincu » « pour un second assaut plus conscient et plus total » et saluait la « nouvelle époque » pour percevoir l’ampleur de l’auto-illusion dont l’Internationale situationniste fut indissociablement victime er responsable, tout autant que la nébuleuse pro-situs : le « radicalisme désincarné » de ces derniers, qu’elle traita globalement avec un souverain mépris sans égard pour leurs éventuelles qualités individuelles, ne faisait pourtant que reproduire naïvement certains errements de leurs modèles tant admirés. Cela préfigurait également le refus de l’I.S. d’accepter que l’avance acquise par son programme d’émancipation au début des années 1960 se convertisse en retard dès lors qu’il fallait s’opposer au développement technologique incessant pour préserver la possibilité matérielle d’une transformation sociale ; autrement dit, pour développer un programme positif à la hauteur de l’épidémie de démocratie directe qui s’étendait sur l’Europe.

[…]

L’I.S. avait, au cours de la décennie précédente, disqualifié par ses exigences organisationnelles la notion de parti d’avant-garde au sens classique (léniniste), mais elle avait en même temps magnifié l’avant-garde artistique […]. La transposition de cette pratique avant-gardiste dans le domaine de la politique n’était plus du tout en phase avec la réalité révolutionnaire des années 70, pas plus qu’elle ne l’avait été avec celle des États-Unis auparavant. L’I.S. renonça ainsi à être à la hauteur de son temps pour se cantonner dans la réaction avant-gardiste et artistique — au sens élitiste — d’un négativisme abstrait. Dans une situation nouvelle, son échec à former des situationnistes, c’est-à-dire des individus capables de participer à la construction collective de situations de lutte en y apportant le projet d’un dépassement positif, en faisant naître « un usage passionnant de la vie » de l’auto-organisation des combats, caractérise donc bien la suite logique de l’épisode américain. / […] Debord, qui savait parfaitement que « l’erreur sur l’organisation est l’erreur pratique centrale » (La Véritable scission dans l’Internationale, 1972), s’enferma dans un solipsisme négateur de toute réalité extérieure et alla jusqu’à déclarer : « … notre théorie bénéficie désormais, pour le meilleur et pour le pire, de la collaboration des masses » (ibid.). Il en arriva ainsi à ce que l’Encyclopédie des nuisances (n°15, article « Abrégé », avril 1992) a appelé une « esthétisation de la politique » : pour quiconque ne se préoccupe guère de se signaler à la postérité, il peut paraître assez futile et surtout démoralisateur de s’attacher ainsi à esthétiser un sabordage, même et surtout s’il est accompagné de déclarations incantatoires : « Désormais les situationnistes sont partout, et leur tâche est partout » : la vérité dément cruellement cette audacieuse proposition de La Véritable scission…, car si des possibilité révolutionnaires ont existé en bien des endroits au cours de cette décennie, les situationnistes, en tant que force organisée, n’ont réellement été nulle part.

[Michel Gomez et Bernard Pecheur, du collectif éditorial, le 15 février 2012].

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