jeudi 10 mai 2012

Lectures – Surréalistes et Situationnistes Vies parallèles


On sait généralement que l’I.L., puis l’I.S. se sont définis d’emblée contre le surréalisme et plus particulièrement contre la figure honnie de leur leader ; André Breton. Ce que l’on connaît moins, ce sont les péripéties de cette histoire conflictuelle que présente Jérôme Duwa dans : Surréalistes et Situationnistes Vies parallèles, Éditions Dilecta. Après une première partie consacrée à l’Histoire, on trouve dans la seconde les Documents complets la concernant.


Extraits :


Dans le numéro 3, j’exprimais notre sympathie à l’Internationale lettriste qui nous adressait régulièrement sa revue Potlatch. Quelque temps après, Nougé, de passage à Paris, avait transmis à Debord et à Wolman la proposition de collaboration aux Lèvres nues. C’est ainsi que leurs textes font leur apparition dans le numéro 6. Mais par après une chicane survient à partir d’une déclaration que Debord voulait nous voir contresigner et insérer dans la revue. Il s’agissait en gros de marquer une sorte de distance à notre égard, tout en maintenant leur collaboration régulière. Au vrai, les lettristes craignaient que l’on assimilât les Lèvres nues à une publication littéraire et que, jouet de cette apparence, ils eussent à en éprouver de la honte. Le souvenir du surréalisme — auquel ils devaient cependant bien des choses (ne serait-ce que la dérive, nées sous les pas du Paysan de Paris) — les gênait jusqu’à le parodier. / Ce n’était pas exactement un différent mais si la déclaration ne parut pas, c’est que son ton péremptoire s’ajoutant à la fragilité de son objet, nous semblait sans intérêt aucun pour nos rares lecteurs. Ensuite, il me paraissait difficile de ne point voir dans cette manœuvre le souci de jouer un rôle devant un certain public, leur public, au regard duquel le mépris est la seule règle nous ait jamais semblé valable. / Mais je m’en voudrais de m’engager plus avant dans la critique d’une entreprise qui puisait continuellement en elle-même la justification de ses ruptures futiles, d’une révolution de palais permanente, sans pays, sans peuple. Bien entendu, l’humour aidait quelques fois à déjouer l’ennui d’un jargon déclamatoire sans cesse réitéré où brillait cette absence  d’incertitude qui est le propre des pensées sans lendemain. / Il n’empêche que les lettristes devenus situationnistes, malgré leur farouche détestation du langage poétique et artistique, ne s’appliquaient pas pour autant à échapper à l’écrit sous ses formes les plus décriées : le manifeste, le livre, le commentaire de film, ni la peinture qu’exerçaient en bonne règle deux ou trois barbouilleurs au seuil de la célébrité. À l’encontre des sectes révolutionnaires du passé, ils ne se défendaient même pas — fût-ce avec ironie mais elle ne trompait guère — d’établir la scrupuleuse nomenclature de leur démarches et d’en asseoir la très pieuse conservation. / J’avais quitté la Belgique lorsqu’un autre désaccord, indubitable celui-là, surgit avec certains de mas amis — Senecaut notamment — pour déboucher sur le tract bilingue : Pas de dialogue avec les suspects, pas de dialogue avec les cons, auquel répondit un tract apocryphe, pastichant le style de l’Internationale situationniste et attribué à ses représentants. Ce tract, confectionné par Tom Gutt, se terminait comme il se doit par une exclusion. / Le plaisant de l’histoire est que le malheureux Kotànyi fut effectivement balancé sept mois plus tard par ses pairs mêmes. / Éditions Les Lèvres nues, 1977. / Marcel Mariën, Démêloir (extrait).

Le pastiche réalisé par Tom Gutt :

Supplément à l’L’IS n°8 : L’internationale situationniste prend l’offensive / L’IS vous l’a dit. L’IS vous le répète : l’IS s’emparera du monde. Nous n’avons plus le temps ni l’intention de viser moins haut. Le monde ou rien : l’IS ne se payera pas de mots. Nous sommes la révolution, oui l’indestructible révolution en marche. Chaque jour des situationnistes naissent. Aux actes, citoyens ! Nous nous adressons à deux milliards et demi de personnes. Le passé, qui est le non-avenir, comme le futur est à la fois le l’antipassé et le non-présent, ne nous intéresse pas. La revolu : non. La révolution : oui. Nous en avons fini une fois pour toute avec ces poussières. Nous n’ouvrirons pas la porte du passé, jamais. L’IS ne connaît pas ce monsieur. / Nous disposons à l’heure actuelle d’effectifs suffisants pour ruiner sans lendemain les structures de l’ordre. Nous sommes les spécialistes de la généralité : d’où notre puissance. L’IS est en mesure de vaincre, au besoin par la force. Et elle vaincra : l’on ne va pas à l’encontre de l’Histoire. Die Geschichte mit uns ! D’ores et déjà les diverses sections de l’IS prennent en main, de manière occulte, tous les leviers de commande du vieil univers. Le monde est à notre merci, quoi qu’il fasse. Nous ne voulons pas la guerre. Mais nous la ferons s’il le faut. Que devant elle, l’ordre dépose immédiatement les armes, et l’IS acceptera de négocier la transmission des pouvoirs. / Nous ne transigerons pas. Assez de faux-fuyants. L’IS est un bloc, et doit rester un bloc. Comme par le passé, nous émonderons sans pitié ce qui tendait à la pourrir, à la saper. Après Nash, après Lefebvre, après les séquelles du surréalisme stalinien en Belgique, nous avons décidé de dénoncer les activités d’Attila Kotànyi, puis, comme il appartient à l’IS, de l’en exclure : cet individu montre depuis peu les signes d’une sorte de mysticisme déviationniste aussi confus que rétrograde incompatible tant avec notre pensée qu’avec notre action. Nous disons : halte aux velléitaires ! À dater de ce jour, aux yeux de l’IS Attila Kotànyi a cessé d’exister. Nous ne ménagerons personne. Si d’aventure, nous-mêmes faiblissons un jour, nous nous exclurions nous-mêmes, sans autre forme de procès. / Avis donc : ne vous mettez pas en travers de notre route. / Nous vous BALAYERIONS ! / Le 31 mars 1963 / Pour le C.C. de l’I.S., Guy-Ernest Debord, Raoul Vaneigem.

Si elle rejetait le surréalisme parisien de Breton, l’I.L. a brièvement fait alliance avec les dissidents belges des Lèvres nues. C’est que Debord, pour qui Breton était un « père à tuer », avait trouvé dans la personne de Paul Nougé un modèle paternel auquel s'identifier. Voilà ce qu’en dit Duwa :

D’un point de vue théorique, le personnage essentiel de la rencontre entre surréalistes belges et lettristes est […] Paul Nougé (1895-1967). Si dans l’enquête sur la poésie de La Carte d’après nature n°5 les lettristes affirmaient l’épuisement de la forme poétique et en appelaient notamment à « créer des visages nouveaux » qui seraient l’expression d’une poésie vécue, on peut faire l’hypothèse que Nougé exauçait déjà en partie ce vœu, tant sa conduite absolument neuve offrait une figure inédite à la civilisation régénérée dont Debord et ses amis souhaitaient l’émergence. / Pour se faire une idée de ce que pouvait signifier une rencontre avec un individu tel que Nougé, il convient de citer le portrait qu’en fait son ami Marcel Mariën dans Le Radeau de la mémoire, lequel va se charger d’éditer Les Lèvres nues et en volume ce que, par commodité, on doit bien appeler l’œuvre de Nougé, bien qu’il l’ait longtemps tenue effacée : « Nougé conduisait en permanence une politique des relations humaines dont — sous un angle rigoriste — la sincérité était pratiquement bannie. Je parle de cette spontanéité épidermique, de cet échange du tac au tac, dénué de toute préparation et de tout fard qui constitue l’ordinaire du comportement des humains entre eux. Nougé menait quasi sans relâche, une inquisition fondée sur un système de feintes où le mensonge calculé tenait une place si éminente qu’on pourrait dire qu’il lui ait rendu, sinon conféré pour la première fois, ses lettres de noblesses. / Debord a 23 ans en 1954 et aussi rétif soit-il alors et rétrospectivement à toute forme de respect […] il ne pouvait pas ne pas reconnaître en Nougé ce type d’individualité seigneuriale faisant d’emblé fortement contraste avec les « ambitions limitées » (Potlatch, n°2, 29 juin 1954) et les gesticulation prophétiques d’un Jean-Isidore Isou.

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