mercredi 17 avril 2013

Morceaux choisis, mignardises et autres Delikatessen



Stéphane Zagdanski, Guy Debord et la diffraction du temps, Gallimard (208)


À propos des banlieues — les « rats » apprécieront : « […] les casseurs sont désormais aussi concrètement infâmes et abrutis que les flics qu’ils affrontent. Des rats humains remuent au fond des poubelles qui leurs servent d’habitat, et se rebelles quelques secondes contre des chiens humains chargés de les surveiller et punir. / Bâtir ? habiter ? penser ? Brûler, croupir, grogner. »

À propos des années 60 : « Elles furent en réalité d’une consternante misère suffisamment incarnée par le phénoménal succès planétaire du rock and roll, cette sous-musique de foire. Que valent les facéties d’un Bob Dylan en comparaison de la grâce absolue de Theolonious Monk ! Comment supporter les fadaises acidulées des Beatles quand on a goûté l’écrasante élégance du quartette de Coltrane ! Le standard Yesterday de Jerome Kern, joué par Wes Montgomery l’année même où McCartney sort son indigent Yesterday, démontre impitoyablement la supériorité du jazz sur le rock, aussi définitivement accablante que celle d’une gorgée de Romanée Conti sur une goulée de Cuba libre. » Ah ! le petit Romanée Conti qu’on boit entre amis sur les banquettes des Deux Magots ou de La Closerie des Lilas.

À propos du style (debordien) : « Le style révolutionnaire combat le langage de l’idéologie par un potlatch du verbe, dilapidant la munition des mots, usant des mots, des concepts et des théories comme d’armes de guérilla, les rendant économiquement irrécupérables en les raffalant qu cœur de la vaste cataracte du monde. »

À propos du : Ne travaillez jamais ! : « Le désormais fameux jamais de Debord n’est pas un nevermore ; c’est un murmure tam-tamé sur un mur, un dard empoisonné fiché dans l’épiderme du temps spectaculaire. »

À propos de la puissance formidable du verbe debordien : « Quelques mois seulement après que La Société du spectacle a rencontré ses audacieux lecteurs, la vitrine du temps qui maintient la vie sous vide va momentanément éclater sous une volée de pavés hilares. »

Debord « kabbaliste (heideggérien) de la nuit » : « Il y a, profondément ancré en Debord, une passion pour l’Ereignis, un puissant désir de faire advenir une face inédite du temps — sa face pluriel de plénitude : ce que le midrash nomme pour sa part «“les soixante-dix visages de la Thora” —, par opposition à “el rostro vano del tiempo” — le visage vide et vain du temps — que Debord évoquera dans une de ses chansons conçues en 1980 pour soutenir les libertaires emprisonnés à Ségovie. »

À propos d’In girum : « Le labyrinthe du titre est donc aussi le lieu de sa retraite en vue d’une contre-offensive ; car la consomption tournoyante des ténèbres se renverse, conformément au mode du palindrome, pour devenir l’éclat inapparent qui fourbit ses scintillations en se drapant d’obscurité. » Est-ce assez clair ?

Sur le vilain Spectacle : « Hélas le Spectacle n’est pas une fiction pour enfants, et les fieffés bouffons bâfrant au râtelier ne se bidonnent guère. »

Vu de la Pointe : « Je trace ces ligne au soleil, à la pointe du Vert-Galant au mois d’avril. / Bientôt le petit peuple des pupazzi se choisira un nouveau maître pour le surplomber de ses palabres délabrées. Gourde Guindée ? Gredin Galvanisé ? Aucune différence. Après tant d’autres, l’élu des zombies réitérera la déréliction où croupit ce siècle décharné qui succède si dignement à celui des charniers. »

Pour finir, un dernier coup de brosse au Vert-Luisant : « Qui sut comme Debord envisager son temps, et le Temps, avec une si extraordinaire sagacité, ne saurait être jugé que par lui-même, ni apprécié qu’à la lumière de ce que d’autre génies ont formulé véridiquement au cours siècles. » — et des siècles. Amen.

1 commentaire:

  1. Allez hop, un petit coup de Zagdanski pour se remonter le moral ! mais quoi que vous pensiez de lui, il vous ressemble car vous êtes tous deux, laudateur ou contempteur de Debord, des commentateurs inoffensifs.
    Cependant votre cas semble un peu plus désespéré puisque vous ne parvenez pas à vous faire éditer…
    Quelle pitié !

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