jeudi 4 avril 2013

Les points sur les « i » de Sanguinetti – Extraits et Commentaires / 4



On a aussi là une explication du comportement du « dernier » Debord et de sa volonté de réécrire l’histoire situationniste à son seul profit : « Ainsi, il n’est pas exagérer de dire que, à partie de ce moment, il a commencé à minimiser systématiquement le rôle joué par tous les autres membres du groupe. Il en est résulté qu’il n’y eut plus de place autour de Guy que pour des médiocres et des opportunistes, qu’il lançait, de façon aventuriste, contre ceux qui avaient été excellents. Cela a eu des conséquences évidentes, même après sa mort, dans le gros travail fait par Alice (je dis “gros” dans le sens du volume). Une des conséquences de cette dégradation est les livres pathétiques écrits à la gloire de Guy : les biographies de sycophantes et les pseudo-histoires supervisées de l’I.S. par une multitude d’“historiens” révisionnistes et par d’impécunieux « philosophes », professeurs, journalistes, etc., qui ont accepté d’être menés, flagellés et censurés par Alice. […] Rien de tout cela n’est arrivé par hasard : cela a été voulu et promu par Alice, mais, avant cela, par Guy. » Voilà qui a le mérite d’être clair.

Parmi les « médiocres » et les « opportunistes » qui entouraient le dernier Debord Sanguinetti s’en prend particulièrement au « petit soldat » Martos. Je laisse à Sanguinetti ses inimitiés qui ont leurs raisons que l’on peut comprendre. Martos faisait partie de ces gens qui ont recherché Debord parce qu’ils l’admiraient et qui ont fini par être admis dans son entourage : ils sont devenus des fidèles. Debord ne s’est pas privé de les utiliser à diverses tâches pas toujours reluisantes sans qu’ils trouvent à y redire. Il y a cependant des limites à la fidélité. Quand Debord, manifestement en plein délire paranoïaque, s’en prend violemment et injustement à un autre de ces fidèles, qu’il traitait la veille encore en « ami » et qu’il rabaisse au niveau de l’insecte pour mieux l’écraser, Martos, qui est pourtant l’ami proche de celui-ci, préfère donner raison à Debord : il y a aussi des limite à l’amitié. On peut toujours excuser ce genre d’excès en le mettant sur le compte d’un mouvement d’humeur. Il n’empêche. Dans ce que précis la réaction furieuse de Debord fut déclenchée par une révélation* que le génial « inventeur du spectacle » prenait pour une accusation.

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Je m’en tiendrais là pour ce qui concerne cet aperçu. Le lecteur pourra se reporter à l’original en ligne — il lira également avec profit le très instructif mémorandum de Sanguinetti consacré au Doge :


La longue lettre de Sanguinetti à Khayati constituait une contribution à la rédaction d’un texte de mise au point sur la manière dont Alice Debord a révisé l’histoire situationniste. Khayati écrivait : « La Note à propos d’Alice pose un problème plus général qui m’a tracassé quelque temps, qui est de connaître le degré de responsabilité de Debord dans ce qu’elle à fait ! / Guy prévoyait tout, calculait tout, et Alice a seulement exécuté – à sa manière, certainement – ce que le maître avait projeté. »

Mais cette lettre est surtout un des rares témoignages de l’intérieur ; c’est-à-dire de quelqu’un qui a été un proche : le « frère d’arme » de Debord. Ce témoignage est doublement intéressant parce qu’il constitue aussi un jugement**. On ne peut qu’encourager la publication de ce genre de relations qui permettront de multiplier les points de vue là où, jusqu’’à présent, le tableau ne s’organisait que selon le point de fuite autorisé par la perspective classique. Peut-être pourra-t-on passer alors de la « légende dorée » à une histoire digne de ce nom.

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* C’est la fameuse « affaire Anders » dont Voyer à fait ses choux gras. Je renvoie le lecteur à son site où tout cela est exposé dans les moindres détails.

** Il y a un problème Debord ; mais il est sans solution — même dans l’alcool. Il réside dans le fait qu’on ne peut pas juger Debord. Même selon ses propres critères puisqu’il a récusé par avance tout jugement. Ce qu’exprime sans détour, dans son Panégyrique, la définition du Littré qu’il place en exergue : « Le panégyrique ne comporte ni blâme ni critique. » À la limite, c’est à lui seul qu’il reviendrait d’être son propre juge et critique. C’est d’ailleurs ce qu’il avait projeté de faire dans un pamphlet ad hoc intitulé : Les Erreurs et les échecs de M. Guy Debord par un Suisse impartial — dont le Catalogue de l’exposition de la BnF donne des extraits. Et cette « critique » devait prendre la forme d’un panégyrique à l’envers.

2 commentaires:

  1. Ce qui est tout de même important dans ce texte, c'est qu'on y apprend que Sanguinetti a répondu à Debord (contrairement à ce que tout le monde croit depuis plus de trente ans) ; et que leur correspondance a paru tronquée aux Éditions Champ libre.

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    1. La correspondance Champ Libre est effectivement une correspondance tronquée — comme c’était le cas de celle de Voyer / Lebovici. Elle incite le lecteur à penser qu’après avoir essayé de contredire Debord de façon inconsidérée sur l’affaire Moro, Sanguinetti aurait fait amende honorable pour se ranger finalement à l’avis de celui-ci. La lettre de Sanguinetti apporte un démenti à cette version où c’est Debord qui a évidemment le beau rôle. Là aussi on peut faire rapprochement — toute proportion gardée — avec ce qui est arrivé à Voyer.

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