mercredi 6 février 2013

« In girum » à la lumière du « canon rétrograde » ou Une tentative d’« ouverture » du « canon fermé » / 11



Avec le Roland furieux de l’Arioste et l’article : Canon du Dictionnaire de Joseph d’Ortigue, nous nous trouvons donc en présence des (de ?) deux « textes-genèse » d’In girum.

Mais, revenons à Paris, « nombril géographique » du monde debordien, en passe de disparaître. « C’est une grande chance que d’avoir été jeune dans cette ville quand, pour la dernière fois, elle a brillé d’un feu si intense. », certes ; mais, désormais, « Paris n’existe plus. » Il n’y aura plus de retour possible vers ce qui a cessé d’exister — si ce n’est post mortem, pour constater l’ampleur des dégâts et ramasser les morts, dans les « décombres et ordures » de cette « terre gaste » que rien ne pourra rédimer.

Puisque nous évoquons la « terre gaste », il faut rappeler la présence sous-jacentes dans In girum du cycle arthurien et la chevalerie ; principalement à travers de nombreux extraits de la bande dessinée d’Harold Foster : Prince Vaillant qui servent, pour la plupart, à illustrer un Portrait d’Ivan Chtcheglov alias Gille Ivain : « Mais puis-je oublier celui que je vois partout dans le plus grand moment de nos aventures […]. », portrait qui se clôt sur la disparition du « plus beau des joueurs » dans « les forêts de la folie ». Une dernière évocation de la « folie » de Chtcheglov viendra plus loin, avec une dernière planche de Prince Vaillant où celui-ci est « maîtrisé par des gardes » suivie d’un extrait des Visiteurs du Soir où l’on voit Gilles enchaîné chanter la complainte des enfants perdus : « Triste enfants perdus, nous errons dans la nuit. Où sont les fleurs de jour, les plaisirs de l’amour, les lumières de la vie. […] Le diable nous emporte sournoisement avec lui. Le diable nous emporte loin de nos douce amies. Notre jeunesse est morte et nos amours aussi. » On retrouve ici la figure du Diable, récurrente dans tout le film de Debord qui revendique son ralliement à l’Adversaire : « C’est ainsi que nous nous sommes engagés définitivement dans le parti du Diable, c’est-à-dire de ce mal historique qui mène à leur destruction les conditions existantes ; dans le “mauvais côté” qui fait l’histoire en ruinant toute satisfaction établie. » Là encore ; ce sont des images des Visiteurs du Soir que Debord met à contribution. On voit bien que le Diable devient, dans In girum, une figure positive. En effet, il ne faut pas perdre de vue que nous nous trouvons dans le « monde à l’envers » — c’est ainsi que, de la même manière, le « terroriste » du film de De Bosio est un résistant. Il se produit ainsi un renversement de perspective. Le ralliement de Debord est donc tout à fait justifié : « Nous sommes devenus les émissaires du Prince de la division, de “celui à qui on a fait du tort”, et nous avons entrepris de désespérer ceux qui se considéraient comme des humains. » Là encore, le « Prince de la division » a une action positive : il vient séparer ce qui était faussement réuni — il en deviendrait presque une figure christique — ; et ceux qu’il s’agit de « désespérer » ne sont pas des « vrais hommes », ils ne font que se considérer, faussement, comme tels.

Il y a chez Debord une vison gnostique du monde où c’est le Mal qui règne sous les apparences du Bien. Il aurait pu reprendre pour lui, à peut de chose près, le cri d’horreur de Baudelaire : « Anywhere, but out of [this] world ! »

(À suivre)

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