vendredi 14 décembre 2012

Guy Debord et l’Internationale situationniste – Sociologie d’une avant-garde « totale » / Commentaire 18



Examinons à présent avec Eric Brun la manière dont le « stratège » Debord va s’y prendre pour asseoir la position de l’I.S. dans son nouveau rôle de « phare » de la révolution prolétarienne à venir : « On le voit, il s’agit pour Debord de rompre avec cette pratique traditionnelle des groupes d’extrême-gauche qui consiste à s’étendre en nombre de militants – et si possible, en nombre de militants ouvriers […] – en faisant le pari d’un développement très rapide dans le cas d’un fonctionnement vraiment différent. » Il ne peut évidemment être question pour Debord de monter une organisation révolutionnaire « classique » ; c’est donc toujours le modèle de la « petite troupe d’élite » qui prime. Mais cette fois, il s’agit de disputer la prééminence aux groupuscules de militants révolutionnaires de pointe ; et en premier lieu à Socialisme ou Barbarie

« On peut donc dire que la conception formulée par l’I.S. du travail politique “révolutionnaire” est en partie liée à une manière de se positionner dans la micro-champ formé par  S. ou B. et ses scissions successives. Il s’agirait de “radicaliser” la rupture de S. ou B. avec le militantisme traditionnel, en retournant le stigmate de “fantaisiste”, et reprenant les principes de l’action politique élaboré s dès l’époque de l’I.L. : la lutte sociale doit être “passionnée”, non “bureaucratique”. Tout se passe comme si l’I.S. érigeait le modèle “sectaire” du groupe d’avant-garde artistique (au sens de regroupement d’un petit nombre d’initiés), tout en évacuant (au moins au niveau du discours) la relation inégalitaire (et en la démarquant de “l’avant-garde” au sens léniniste de “direction” du mouvement ouvrier), en mode d’intervention pleinement politique et en principe de distinction dans les luttes entre organisations. Sur plusieurs textes, l’I.S. défend une conception du groupe d’avant-garde comme devant être restreint en nombre, sans troupes ni disciples, composé uniquement de personnes “égales” en capacités, en accord sur des objectifs et pour des actions précises. Pour les situationnistes, il s’agit de donner “l’exemple d’un nouveau style de vie”, pour apporter le “détonateur” d’une “explosion libre qui devra [leur] échapper à jamais, et échapper à quelque autre contrôle que ce soit“. »

Tout le problème résidait en effet dans la transposition d’un modèle qui s’était révélé particulièrement efficace dans le domaine artistique à l’intervention dans un nouveau milieu déjà passablement investi ; et où il s’agissait non seulement de « prendre place » mais surtout de « tenir son rang ». Et cette place et ce rang l’I.S. entend bien l’asseoir prioritairement dans le domaine de la théorie révolutionnaire. « Le rôle que l’I.S. se donne est pour une autre part celui de producteur de la théorie du capitalisme moderne qui doit “éclairer” le présent afin de définir la nature du prochain mouvement révolutionnaire prolétarien. Les situationnistes expliquent ainsi en 1964 que “l’I.S. se propose d’être le plus haut degré de la conscience révolutionnaire internationale”, et s’efforce en conséquence “d’éclairer et de coordonner les gestes de refus et les signes de créativité qui définissent les nouveaux contours du prolétariat, la volonté irréductible d’émancipation”. »

Cela ne va pas sans contradiction.

(À suivre)

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