samedi 13 octobre 2012

Ivan et Guy / Complément



Le nom de Chtcheglov est cité 38 fois dans la Correspondance de Debord dont 9 en Note. Pour le reste, son nom est généralement cité en passant dans une lettre à un autre correspondant. Les lettres qui lui sont directement adressées sont au nombre de 4 toutes daté de 1963 ; c’est-à-dire de l’époque où Ivan à renoué avec Guy et Michèle qui viendront le voir à La Chesnais. S’en suivra une correspondance qui durera dix-huit mois et dont Debord tirera Lettres de loin. Ces quatre lettres ne laissent à peu près rien transparaître des tensions qui iront croissantes entre les deux hommes et aboutiront à une rupture définitive.

Voici quelques extraits significatifs de ces lettres.

Lettre du 30 avril 1963 :

[…]
Planète (80 000 lecteurs maintenant) est en effet le pire. Et c’est en relié à toute la vulgarité d’une nouvelle société d’oppression mêlée de confort, intellectuel et autre, spectaculaire. La subtilité de cette société, qui existe aussi, est ailleurs. Les deux aspects sont à détruire, rien de moins. Ta formule « vases communicants », sur ceux qui cachent toute actuelle recherche artistique et vitale et désoccultent la pensée ancienne ou les secrets historiques (« Rien à comprendre » et « Nous avons tout compris »), est très bonne. Ce sont les valets de l’ordre, ils sont les éternels ennemis de ceux qui ont protégé ou créé quelque chose contre l’ordre. Divulguer faussement ou cacher complètement sont deux tactiques successives : les deux sont appliquées par exemple à la pensée et à l’art moderne. / […] Aujourd’hui toutes les règles du jeu s’en vont en fumée, comme disait presque Marx, on peut donc chercher à ressusciter des jeux – ou des luxes – anciens […]. On peut au contraire approcher un nouveau jeu universel sans règles (« Quand on pense que tous ces gens sont ici pour que l’on joue avec ! » – Gilles Ivain, sur le boulevard Saint-Michel. Ceci est du côté de la seule révolution possible, et hautement difficile, dans notre époque.
[…]



Lettre du 8 juin 63 [Danemark] :

Je collectionne les fragments de commentaires et corrections pour la prochaine édition critique du « Formulaire ». Oui, pourquoi pas 600 pages ?
[…]
Les aventures recommencent… Un soir de la semaine dernière, comme Michèle et moi traversions le quartier juif avec une jeune fille [Alice Becker-Ho], celle-ci – cultivée pourtant – demande soudain ce que veut dire l’inscription : « Nourriture cachée ». On s’avise alors qu’il s’agit du mot « Kasher », mais précisément sur la vitrine du restaurant qui occupe maintenant l’emplacement du redoutable Bar du Trésor ! [Rue Vielle-du-Temple (cf. Les Lèvres nues n° 9 : « Deux comptes rendus de dérives »*] Qu’en dis-tu ? Oui, il faudra « construire l’hacienda » nous même, pour nous-mêmes.
[…]

Lettre du 9 août 63

Oui, avec ta préface le ton est trouvé. C’est ta voix. Comme elle était toujours, dans le rapport (ou le programme) sur la vie. Ce qui nous a retenus à la vie. « Elle est belle, elle est facile. » / Certainement, nous ferons savoir, autant qu’il faudra, que nous nous sommes retrouvés ! On va beaucoup nous revoir ; non seulement à cette Contrescarpe, qui n’est que ta dernière étape en liberté [C’est au café des Cinq Billards qu’Ivan fut saisi pour être interné.] – celle où cette dérive a été momentanément engluée, d’où on pourra repartir – mais, j’espère, aussi à d’autres endroits que nous avons trouvé autrefois… Et à tant qui sont encore à découvrir, etc. /[…] / À bientôt pour le dixième anniversaire de la dérive.

Le 19 juin 1963 [Danemark], dans une lettre à Vaneigem, Debord écrivait, à propos « des heurts à l’intérieur de l’I.S. » : « Je voudrais dire d’abord qu’à mon sens il va de soi que personne n’a à “exiger des justifications ou à en donner”, comme tu l’écris. […] / C’est dire que je ne pense pas qu’il y ait des blessures, à laver à l’eau fraîche ou autrement. Et même il me paraît que dans une aventure comme celle-ci, vu la très forte pression désintégrant de l’environnement hostile […], toute blessure se gangrène très vite. Comme est fatale toute petite brèche dans les parages où allait le sous-marin Thresher (« dépassons la profondeur expérimentale » [Dernier message radio émis par le sous-marin atomique Thresher (U.S.A.) qui disparut en plongée avec 129 hommes à bord le 10 avril 1963.]). On a un exemple très impressionnant avec Gilles Ivain.


Cela appelle quelques commentaires qui viendront plus tard.

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* Dans « Rencontres et troubles consécutifs à une dérive continue », on peut lire ceci : « Le soir du 25 décembre 1953, les lettristes G[illes]. I[vain]., G[uy]. D[ebord]. et G[aëtan]. L[anglais]., entrant dans un bar algérien de la rue Xavier-Privas où ils ont passé toute la nuit précédente – et qu’il appellent depuis longtemps « Au Malais de Thomas » – sont amenés à converser avec un Antillais d’environ quarante ans, d’une élégance assez insolite parmi les habitués de ce bouge […]. » Suit une conversation délirante sur le thème du voyage. L’Antillais propose aux lettristes de les retrouver au même endroit le lendemain avec sa femme. « La conversation atteint en valeur délirante celle de la veille, mais cette fois avec la participation de la femme de J. [l’Antillais] […]. » / « Le lendemain, vers la fin de l’après-midi, G. D. et G. I., s’apercevant soudain qu’ils sont près de la rue Vielle du temple décident d’aller voir un bar de cette rue où, six semaines plus tôt, G. I. avait noté quelque chose de surprenant : comme il y entrait, au cours d’une dérive en compagnie de P[atrick]. S[traram]., le barman, manifestant une certaine émotion à sa vue, lui avait demandé “Vous venez sans doute pour un verre ?” et sur sa réponse affirmative, avait continué “Il n’y en a plus. Revenez demain”. G. I. avait alors machinalement répondu “C’est bien”, et était sorti […]. / L’entrée de G. I. et G. D. dans le bar font à instant taire une dizaine d’hommes qui parlaient yiddish […]. » Suit une histoire de gangsters, rocambolesque, avec poursuite et péripétie diverses, qui se termine à la Montagne-Sainte-Geneviève « dans une atmosphère d’inquiétude grandissante ».

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