Le nom de Chtcheglov est cité 38 fois dans la
Correspondance de Debord dont 9 en
Note. Pour le reste, son nom est généralement cité en passant dans une lettre à un autre correspondant. Les lettres
qui lui sont directement adressées sont au nombre de 4 toutes daté de
1963 ; c’est-à-dire de l’époque où Ivan à renoué avec Guy et Michèle qui
viendront le voir à La Chesnais. S’en suivra une correspondance qui durera
dix-huit mois et dont Debord tirera Lettres
de loin. Ces quatre lettres ne laissent à peu près rien transparaître des
tensions qui iront croissantes entre les deux hommes et aboutiront à une
rupture définitive.
Voici quelques extraits significatifs de ces
lettres.
Lettre du 30 avril 1963 :
[…]
Planète (80 000
lecteurs maintenant) est en effet le pire. Et c’est en relié à toute la
vulgarité d’une nouvelle société d’oppression mêlée de confort, intellectuel et
autre, spectaculaire. La subtilité de cette société, qui existe aussi, est
ailleurs. Les deux aspects sont à détruire, rien de moins. Ta formule
« vases communicants », sur ceux qui cachent toute actuelle recherche
artistique et vitale et désoccultent la pensée ancienne ou les secrets historiques
(« Rien à comprendre » et « Nous avons tout compris »), est
très bonne. Ce sont les valets de l’ordre, ils sont les éternels ennemis de
ceux qui ont protégé ou créé quelque chose contre l’ordre. Divulguer faussement
ou cacher complètement sont deux tactiques successives : les deux sont
appliquées par exemple à la pensée et à l’art moderne. / […] Aujourd’hui toutes
les règles du jeu s’en vont en fumée, comme disait presque Marx, on peut donc
chercher à ressusciter des jeux – ou des luxes – anciens […]. On peut au
contraire approcher un nouveau jeu universel sans règles (« Quand on pense
que tous ces gens sont ici pour que l’on joue avec ! » – Gilles
Ivain, sur le boulevard Saint-Michel. Ceci est du côté de la seule révolution
possible, et hautement difficile, dans notre époque.
[…]
Lettre du 8 juin 63 [Danemark] :
Je collectionne les fragments de commentaires
et corrections pour la prochaine édition critique du « Formulaire ».
Oui, pourquoi pas 600 pages ?
[…]
Les aventures recommencent… Un soir de la
semaine dernière, comme Michèle et moi traversions le quartier juif avec une
jeune fille [Alice Becker-Ho], celle-ci – cultivée pourtant – demande soudain
ce que veut dire l’inscription : « Nourriture cachée ». On
s’avise alors qu’il s’agit du mot « Kasher », mais précisément sur la
vitrine du restaurant qui occupe maintenant l’emplacement du redoutable Bar du Trésor ! [Rue
Vielle-du-Temple (cf. Les Lèvres nues
n° 9 : « Deux comptes rendus de dérives »*] Qu’en dis-tu ?
Oui, il faudra « construire l’hacienda » nous même, pour nous-mêmes.
[…]
Lettre du 9 août 63
Oui, avec ta préface le ton est trouvé. C’est
ta voix. Comme elle était toujours, dans le rapport (ou le programme) sur la
vie. Ce qui nous a retenus à la vie. « Elle est belle, elle est
facile. » / Certainement, nous ferons savoir, autant qu’il faudra, que
nous nous sommes retrouvés ! On va beaucoup nous revoir ; non
seulement à cette Contrescarpe, qui n’est que ta dernière étape en liberté
[C’est au café des Cinq Billards
qu’Ivan fut saisi pour être interné.] – celle où cette dérive a été
momentanément engluée, d’où on pourra repartir
– mais, j’espère, aussi à d’autres endroits que nous avons trouvé autrefois… Et
à tant qui sont encore à découvrir, etc. /[…] / À bientôt pour le dixième
anniversaire de la dérive.
Le 19 juin 1963 [Danemark], dans une lettre à
Vaneigem, Debord écrivait, à propos « des
heurts à l’intérieur de l’I.S. » : « Je voudrais dire d’abord qu’à mon sens il va de soi que personne n’a à
“exiger des justifications ou à en donner”, comme tu l’écris. […] / C’est
dire que je ne pense pas qu’il y ait des blessures, à laver à l’eau fraîche ou
autrement. Et même il me paraît que dans une aventure comme celle-ci, vu la
très forte pression désintégrant de l’environnement hostile […], toute blessure
se gangrène très vite. Comme est fatale toute petite brèche dans les parages où
allait le sous-marin Thresher (« dépassons
la profondeur expérimentale » [Dernier message radio émis par le sous-marin
atomique Thresher (U.S.A.) qui
disparut en plongée avec 129 hommes à bord le 10 avril 1963.]). On a un exemple
très impressionnant avec Gilles Ivain.
Cela appelle quelques commentaires qui
viendront plus tard.
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* Dans « Rencontres et troubles consécutifs à une dérive continue », on
peut lire ceci : « Le soir du
25 décembre 1953, les lettristes G[illes]. I[vain]., G[uy]. D[ebord]. et G[aëtan]. L[anglais]., entrant dans un bar algérien de la rue
Xavier-Privas où ils ont passé toute la nuit précédente – et qu’il appellent
depuis longtemps « Au Malais de Thomas » – sont amenés à converser
avec un Antillais d’environ quarante ans, d’une élégance assez insolite parmi
les habitués de ce bouge […]. » Suit une conversation délirante sur le
thème du voyage. L’Antillais propose aux lettristes de les retrouver au même
endroit le lendemain avec sa femme. « La
conversation atteint en valeur délirante celle de la veille, mais cette fois
avec la participation de la femme de J. [l’Antillais] […]. » / « Le
lendemain, vers la fin de l’après-midi, G. D. et G. I., s’apercevant soudain
qu’ils sont près de la rue Vielle du temple décident d’aller voir un bar de
cette rue où, six semaines plus tôt, G. I. avait noté quelque chose de
surprenant : comme il y entrait, au cours d’une dérive en compagnie de P[atrick].
S[traram]., le barman, manifestant une certaine émotion à sa vue, lui avait demandé
“Vous venez sans doute pour un verre ?”
et sur sa réponse affirmative, avait continué “Il n’y en a plus. Revenez demain”. G. I. avait alors machinalement
répondu “C’est bien”, et était sorti […]. / L’entrée de G. I. et G. D. dans le bar font à instant taire une
dizaine d’hommes qui parlaient yiddish […]. » Suit une histoire de
gangsters, rocambolesque, avec poursuite et péripétie diverses, qui se termine
à la Montagne-Sainte-Geneviève « dans
une atmosphère d’inquiétude grandissante ».
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