Évoquant avec lyrisme la préhistoire de l’I.S.,
Debord écrivait : « Surprenantes
rencontres, obstacles remarquables, grandioses trahisons, enchantements
périlleux, rien ne manquât dans cette poursuite d’un autre Graal néfaste, dont
personne n’avait voulu. » (In
girum) Si il y a bien une trahison à l’origine de l’I.S., elle n’a rien de
grandiose ; et elle se double, de plus, d’une captation d’héritage. C’est
cette histoire que je voudrais esquisser.
[Toutes les citations sont tirées du livre de
Jean-Marie Apostolidès et Boris Donné, Ivan
Chtecheglov, Profil Perdu,
Allia — sauf indication contraire.]
Il faut pour cela revenir au temps de l’internationale
lettriste, en 1953, période cruciale,
où Debord se retrouve pratiquement seul — Berna et Brau les deux autres
co-fondateurs de l’I.L. ont été exclus ; ainsi que tous les autres — ce
qui ne fait pas grand monde. C’est à ce moment-là qu’il rencontre Ivan
Chtecheglov : « Ivan devient
[…] immédiatement un membre du groupe
fantôme et le restera exactement une année – de juin à 1953 à juin 1954. »
Cette période coïncide avec la décision prise par Debord de quitter Moineau. Chtcheglov écrit : « Ils coururent les cafés cherchant un endroit
calme où se loger pendant des journées, et s’arrêtèrent chez Charlot, au
Tonneau d’Or. »
Les deux « frères » ne se quittent
plus. C’est une dérive à grande journée dont Ivan est le guide : « Debord et Chtcheglov refont le monde à deux
en commençant par la ville de Paris. Ivan montre à Guy que le dépassement de
l’art auquel il aspire peut se réaliser dans l’exploration et la transformation
du tissu urbain, et lui fait prendre conscience du fait que l’aliénation
sociale se trouve matérialisée dans l’organisation des métropoles modernes […]. »
Ce qui ne s’appelait pas encore « la dérive » est une vielle idée d’Ivan :
« Pour Ivan, la dérive est la mise
en pratique à l’échelle urbaine du “nouveau nomadisme” auquel il avait rêvé
avec Henry de Béarn. […] Ainsi naît
la psychogéographie, cette science
toute subjective qui n’est pour Ivan qu’une actualisation des rêveries qui le
suivent depuis son enfance : comme les jeunes héros du Voyage
imaginaire, il est désormais capable de
superposer l’autre pays à l’espace
réel dans lequel il évolue. »
Ivan poursuit l’initiation de son « frère » :
« Ivan fait aussi partager à Guy son
goût pour l’imaginaire médiéval : ensemble ils rêvent d’une société
secrète qui serait une chevalerie nouvelle. […] Ivan, qui s’intéresse de plus en plus aux auteurs s’inscrivant dans une
certaine tradition ésotérique, en particulier René Guénon et Raymond Abellio,
suggère à Guy de faire de l’I.L. un groupe occulte […]. »
(À suivre)
Très bien pour votre blog. J'aime bien cette démarche critique qui n'hésite pas à appeler un chat un chat, l'hagiographie debordienne lui fait plus de mal que de bien.
RépondreSupprimerhttp://art-culture-revolution.blog4ever.com
RépondreSupprimerJ'ai parcouru rapidement votre blog. je ne peux qu'être d'accord avec vous en ce qui concerne Kaufmann. Pour le fameux: NE TRAVAILLEZ JAMAIS, il est en effet probable que ce n'est pas Debord qui a tracé lui-même l'inscription — mais somme toute, il aurait pu le faire et c'est sans doute lui qui en a eu l'idée. Par contre, je vous trouve excessivement sévère avec le bouquin de Marcolini qui est malgré tout l'un des meilleurs ouvrages sur le sujet paru ces derniers temps.
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