L’état de santé d’Ivan continue de se
dégrader. Malgré tout : « Depuis
sa mise à l’écart, [il] n’a cessé de
suivre à distance l’évolution de Debord, essentiellement à travers le bulletin
Potlatch qu’il reçoit depuis le n° 1
(juin 1954). Une année après la rupture, il a croisé Debord par hasard ;
celui-ci a constaté les troubles qui perturbaient le comportement de son ancien
ami, mais la rencontre reste sans suite. »*
Ivan a renoué avec quelques exclus :
Jean-Michel Mension, André-Franck Conord et Gaëtan Langlais. « Au fil du temps, Ivan voit la plupart de ses
amis prendre leurs distances avec lui ; la maladie l’a rendu d’un abord
difficile. Langlais est l’un des derniers à rester proche. Entre eux se crée
une complicité forte : elle est scellée par la haine qu’ils vouent à Guy
Debord. » Mais Gaëtan Langlais est loin d’être un modèle d’équilibre.
« Ivan laisse entendre qu’un jour,
lors d’une de ses crises, il m’a retenu d’assassiner quelqu’un, armé d’un
couteau. “oui, j’ai rudement fauté en sauvant ou presque la vie de Langlais en
56… Avec un long couteau… Il était au bord du meurtre, et dans un état tel que
s’il l’avait fait, il serait en service fermé pour le reste de ces
jours…” » Cependant leur haine mutuelle de Debord les lie :
« Ils ne lui pardonnent pas de les avoir
effacés de l’histoire de l’I.L. Langlais n’a jamais dû digérer le motif de son
exclusion, “sottise” ; et Chtcheglov a encore sur le cœur la façon
cavalière dont Debord s’est comporté au moment de leur rupture, uniquement
soucieux de régner sans partage sur le groupe. Il est surtout atterré de voir,
au fil des numéros de Potlatch, bon
nombre de ses idées, des thèmes et des textes qu’il avait élaborés au temps de
leur compagnonnage repris sans que sa contribution soit jamais
mentionnée. »
Mais bientôt, l’I.L. va disparaître pour
céder la place à une organisation d’une autre envergure : l’Internationale
Situationniste. Pourtant, pour qui lit le premier numéro de son luxueux
bulletin la continuité est évidente. En effet, l’I.S. « réalise en partie le programme d’une
nouvelle I.L. élaboré quelques année plus tôt avec Chtcheglov et Straram » ;
c’est donc fort logiquement que figure, en bonne place, dans ce premier numéro d’I.S. le Formulaire pour un urbanisme nouveau d’Ivan qui constitue à la fois
une reconnaissance et un appel du pied de Debord à son ancien complice. La
question est de savoir pourquoi Debord éprouvait maintenant le besoin de revenir sur le passé en ressuscitant l’un
de ses fantômes ? Il y avait certes la continuité évoquée précédemment ;
et peut-être « [l]es échos que
Debord recueillait sur le compte de son ancien ami lui laissait[-t-il] penser que le moment était propice pour une
telle tentative » comme le disent Apostolidès et Donné. Ou bien Debord
essayait-il de réparer tardivement les torts qu’il savait avoir vis-à-vis de
Chtcheglov ? Quoi qu’il en soit, il était trop tard : « La fatigue qui écrase Ivan, l’empêche de
comprendre qu’avec le premier numéro d’Internationale situationniste, Debord lui à tendu la main. La
réconciliation n’aura pas lieu ; pire, cette tentative va exacerber la
méfiance et l’hostilité de son ancien ami. Dans les publications
situationnistes, celui-ci voit moins un hommage qu’une appropriation de ses
dépouilles intellectuelles. »
_____________________
* « La
dernière fois que j’ai rencontré Ivan, vers l’été 55, nous avons parlé,
cordialement, des malentendus passés — qu’il attribuait à de véritables
troubles psychiques, et aux problèmes qu’il avait rencontré dans sa liaison
avec Hélène. Mais il paraissait abattu et changé. Comme nous n’avions guère de
préoccupations communes apparentes, et comme on le découvrait tristement
entouré de déchets du type Conord-Mension, prolonger ce mode de contact n’était
pas souhaitable. » (Lettre de Debord à Patrick Straram, 25 août 1960, Correspondance, volume I.)
Il faut quand même noter les : « déchets du type Conord-Mension », réunis dans le même opprobre. On viendra peut-être nous dire que c’était les mœurs du milieu ; il n’empêche.
Il faut quand même noter les : « déchets du type Conord-Mension », réunis dans le même opprobre. On viendra peut-être nous dire que c’était les mœurs du milieu ; il n’empêche.
(À suivre)
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