Ivan proposera aussi à Guy de publier une
pièce de théâtre qu’il avait écrite avec d’autres patients de La Chesnais. Mais
Debord n’est pas très chaud : « Réticent
à l’idée de publier le texte d’À nos amours, le leader situationniste se refuse pourtant à baisser les bras ;
il propose à son correspondant d’assembler quelques extraits de ses lettres
pour en faire un article. Ivan accepte avec joie […]. » Ce sera les Lettres de loin dont il a été question
précédemment. « Debord a aussi pensé
consacrer un film à son ami : il est annoncé en 4e de
couverture du livre Contre le cinéma,
qui paraît en août 1964 […]. » Le Portrait
d’Ivan Chtcheglov ne sera jamais réalisé — on trouve cependant dans In girum un hommage appuyé à Ivan, qui
en est comme l’écho lointain.
Les relations entre Chtcheglov et les Debord
vont bientôt être rompues. « Confrontés
aux perpétuelles demande d’Ivan – demandes d’argent, d’attention, de sortie
d’impasse… –, Guy et Michèle finissent par se lasser. Ils sentent peut-être
qu’Ivan se dégrade toujours davantage et que la générosité dont ils font preuve
depuis un an et demi n’a pas eu d’effet déterminant sur la santé de leur ami.
Peu à peu, ils prennent leurs distances. » Debord finit par opposer
« une fin de nom recevoir à une
nouvelle demande d’argent tout en réaffirmant ses bonnes intentions : “Je
suis absolument désargenté pour le moment. C’est l’inconvénient (fréquent) du
fait de vivre à crédit […]” ».
Apostolidès et Donné mentionne « une
lettre délirante » — de rupture — envoyée par Chtcheglov à Debord et
que celui-ci « n’a pas voulu
conserver » — c’est bien dommage. Les mêmes écrivent encore :
« L’image d’Ivan s’estompe après
1965. Debord a rompu avec son ami, considérant qu’il s’est à tout jamais égaré
“dans les forêts de la folie”. » C’est une manière assez soft de dire que Guy a abandonné son
« ami » Ivan à son triste sort — comme l’image poétique des « forêts de la folie » employée par
Debord recouvre une réalité plus sordide.
« Quelques
documents témoignent de la lente dégradation de son état mental. […] Les fragments de récit qu’Ivan a
dactylographiés montrent qu’à certains moments, il est tout à fait capable
d’ordonner ses souvenirs d’adolescence et de les transcrire de façon cohérente.
Mais dès que ce travail de mémoire aborde la période critique, l’aventure
lettriste, ses pensées s’emballent : il saute le récit du compagnonnage
avec Debord pour en venir tout de suite à l’épisode qui l’obsède, la
rupture ; après quoi, plus rien. » Ivan finit même par être
renvoyé de la Chesnais ; il est placé dans un hôpital à Orléans où il
« séjourne » quelques années. Puis, il est transféré à l’hôpital de
Maison-Blanche, en banlieue parisienne, où il « séjourne » une
douzaine d’années. « Replié sur
lui-même, perdu dans ses rêveries plus ou moins délirantes, il n’a plus le
courage de s’informer du monde extérieur : il ne vit que dans l’autre
pays […]. » Sa mère s’occupera de lui tant qu’elle le pourra. « À 60 ans, en 1993, Ivan Chtcheglov doit
quitter Maison-Blanche. Il est envoyé à la maison de retraite de Bry-sur-Marne […]. »
Ivan disparaît le 21 avril 1998. « Les naufrageurs n’écrivent leur nom que sur
l’eau. »
(À suivre)
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