Ivan Chtcheglov, essayera de
renouer lui-même avec Guy Debord et Michèle Bernstein. « En août 1962, il se sent assez fort pour
quitter La Chesnais. » Après une tentative de vie à la campagne chez
des parents de sa mère, il retourne à Paris : « Il erre de nouveau place de la Contrescarpe ; au Quartier
Latin, rue Civry [où habite sa mère].
Il cherche Guy Debord et Michèle Bernstein dans leur ancien repaire, au Tonneau
d’Or, rue de la Montagne-Sainte-Geneviève, mais le bar a été vendu. »
Il est bientôt contraint de réintégrer La Chesnais. Ivan reprend finalement contact
avec Guy et Michèle en leur adressant une première lettre, le 13 mars
1963 : « Je ne sais où vous
écrire. La dernière fois que je suis passé chez votre facteur Charlal, il
venait de vendre. Répondez-moi si vous recevez ce mot (…) J’ai plus que des
ennuis et ai besoin de contacts avec l’extérieur. […] / Si je suis assuré de pouvoir vous joindre,
je vous raconterai des histoires. / J’ai
des projets… Mais je suis dans un état de faiblesse organique tout à fait
lamentable. Soyez sans crainte du côté des idées. » Ce sera le début
d’une correspondance suivie qui durera dix-huit mois. Debord réalisera un
montage à partir de ces lettres qui sera publié dans le numéro 9 d’Internationale situationniste sous le
titre de : Lettres de loin. S’il
faut évidemment considérer cette publication comme un hommage à son malheureux compagnon,
il n’en reste pas moins que Debord utilise
le « cas Chtcheglov ». Non seulement, comme l’écrivent Apostolidès et
Donné, « il explique son placement
en institution par des raisons sociales ou politiques, en minimisant
l’importance de la maladie » ; mais en même temps, il s’approprie
en quelque sorte son malheur comme il s’était déjà approprié son héritage — et
ce faisant il le laisse encore plus démuni qu’il ne l’était avant. Apostolidès
et Donné peuvent bien écrire que : « Malgré ses divagations, Guy et Michèle se montrent attentionnés à
l’égard de leur ami. » ; et qu’« [i]ls répondent scrupuleusement à chacune de ses lettres, se déplacent à
Chailles » ; et même qu’« [i]ls envoient des mandats lorsqu’Ivan réclame de l’argent » ;
la distance est désormais trop grande et plus rien ni personne ne pourra la
réduire.
Nous sommes bientôt au bout de cette triste
histoire. Apostolidès et Donné, écrivent encore : « Debord croit à la vertu thérapeutique de
l’écriture. Il aimerait que Chtcheglov retourne aux pratiques anciennes pour
lesquelles il était si doué. Il fait comme s’il était possible de revenir dix
ans en arrière, à cette période mythique des grandes dérives, du Continent
Contrescarpe, du Formulaire pour un urbanisme nouveau. » Debord
« croit », il « aimerait », il « fait comme
si » ; peut-être. Ivan a effectivement le projet de faire un
commentaire du Formulaire pour un
urbanisme nouveau ; mais il n’en est plus capable : « Je collectionne les fragments de
commentaires et corrections pour la prochaine édition critique du
Formulaire. Oui, pourquoi pas 600
pages ? »
(À suivre)
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