vendredi 17 janvier 2014

Apostille à : Surréalisme et situationnistes au rendez-vous des avant-gardes / Commentaire



[Il faut rappeler que Patrick Marcolini est l’auteur du Mouvement situationniste, Une histoire intellectuelle, L’Échappée, qui est sans doute le meilleur livre paru à ce jour sur le sujet.]

Dans le paragraphe introductif de son article : Les situationnistes face à la modernisation du capitalisme (Une autre histoire des « trente glorieuses », La Découverte.), Patrick Marcolini parle, à juste titre,  de la « fusion de l’esthétique et du politique » qui caractérise l’I.S. Il faut cependant ajouter que cette « fusion » — qui se retrouve à différents degrés dans les autres avant-gardes qui l’on précédée — va être remise en question. Au début des années 60 Debord décide d’une réorientation stratégique de l’action de l’I.S. qui privilégie désormais le domaine de la politique révolutionnaire au détriment de celui de l’art et de la culture considéré comme épuisé. Il faut bien voir que cette nouvelle orientation — qui va se traduire dans l’I.S. par la « liquidation » des artistes — ne peut en aucun cas être considérée comme un « dépassement » ; mais elle va entraîner une opération de transfert qui se traduira précisément dans l’esthétisation de la politique révolutionnaire — opération qui a été aussi un manière de « sauvetage » de l’activité artistique abandonnée qui se retrouve dans l’« esthétique de la révolte » qui assurera à l’I.S. un pouvoir de séduction qui faisait assurément défauts aux autres organisations révolutionnaires ; et qui assurera son succès.

Marcolini oppose la critique des surréalistes et celle des situationnistes qui contrairement à ceux-ci qui « s’étaient servis de l’irrationnel pour “détruire les valeurs logiques de surface” », ont « mis en avant la nécessité de “rationaliser davantage le monde, première condition pour le passionner” » et donc le bouleverser. Il ne faut cependant oublier que les surréalistes — et Breton au premier chef — furent la grande référence de Debord et des situationnistes : ceux dont il fallait se démarquer avant de les dépasser. C’est pourquoi Debord choisit de prendre le contrepied de l’option « irrationaliste » qui était la leur et de miser, au contraire, sur une rationalisation supérieure du monde pour le battre sur son propre terrain. Mais ce faisant, il a dû se faire le propagandiste d’une modernité bien comprise qui ne pouvait cependant faire l’économie d’une révolution pour se mettre en place. Mais puisqu’il ne s’agissait, en somme, que de promouvoir un bon usage de science et de la technique, il ne pouvait y avoir de la part de l’I.S., comme le note Marcolini, de « remise en cause approfondie de la science et de la technique modernes en elles-mêmes » — il faudra attendre pour cela les épigones tardifs de l’Encyclopédie des Nuisances.

Évoquant la volonté de « dépassement » qui fut l’obsession de Debord et de l’I.S., Marcolini rappelle que « le projet de l’I.S. fut bien de procéder à une « Aufhebung » de l’opposition tradition-modernité » ; et il se demande : « cette “Aufhebung” a-t-elle été effective ? » La réponse est à l’évidence : non. Marcolini se pose la question de savoir « si le romantisme sous-jacent à la démarche situationniste n’a pas joué dans leur analyse du monde contemporain le rôle d’un contenu latent qui sapait son contenu explicite “moderniste” ». Mais le romantisme révolutionnaire de l’I.S. — qui peut paraître paradoxal — n’était pas « sous-jacent » à un « contenu explicite “moderniste” », dans la mesure où il était la contrepartie nécessaire de ce « modernisme » délibérément choisi qu’il ne pouvait donc pas « saper ». De fait cette option qui consistait à s’engager dans une course de vitesse sur le changement avec le pouvoir, s’est révélée être l’erreur stratégique majeure des situationnistes — et donc de Debord. Il ne pouvait pas y avoir là de dépassement parce que, en tout état de cause, c’est la technique de par sa nature même qui prescrit l’usage que l’on peut en faire. L’opposition tradition-modernité était donc insurmontable ; et l’I.S. était condamnée à rester cantonné un romantisme révolutionnaire impuissant ou à disparaitre — ce qu’elle a dû se résoudre à faire ; mais on ne peut pas parler ici d’« autodissolution : Debord a dû finalement se résoudre à liquider lui-même une I.S. en bout de course parce que c’était la seule chose raisonnable à faire.

1 commentaire:

  1. L'I.S. n'était pas parfaite, elle a parfois dit des conneries. Constant aurait dû être exclu en raison de la laideur de ses maquettes. C'est bien possible. Là n'est pas vraiment le problème.
    Les analyses a posteriori des stratèges subventionnés à la Marcolini n'ont pas un grand mérite. Il est facile, après la bataille, de pointer les insuffisances de ceux qui ont combattu et de leur faire la leçon. Mais la vérité, c'est que Debord a fait ce qui lui a plu, en homme libre. Et lorsque la discipline de groupe qu'impliquait l'IS l'a fatigué, il la liquidée. Est-ce que cela aurait changé quelque chose à quoi que ce soit si l'IS s'était attaqué à la technique de façon plus approfondie, en somme, si elle avait été sur la ligne de l'Encyclopédie des Nuisances dès les années 60 ? Bien sûr que non.


    Et puisque Marcolini est si malin, pourquoi ne fonde-t-il pas sa propre avant-garde ? Avec ses talents d'analyste, il devrait parvenir sans trop de peine à de meilleurs résultats que ceux obtenus par Debord.

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