samedi 18 janvier 2014

Lyon à la dérive / 4



Le Nom de Lyon – Extraits (sur Stanislas Rodanski*) :


Ce qui avait dû être un établissement de nuit figurait assez bien la Taverne des ratés de l’aventure et orientait ma rêverie vers les hauts murs de l’hôpital Saint-jean-de-Dieu, qu’il m’arrivait souvent alors de longer, derrière lequel celui qui avait inventé cette enseigne s’était absenté mais respirait encore. / Stanislas Rodanski : ce nom creuse une distance que les repères qui rendent une existence visible peinent à réduire. « Au printemps de l’année 1948, à Lyon, je le sais à des indices certains. Je traversais la rue un soir qu’il faisait beau. J’entrevoyais le feuillage et la place Bellecour dans une pâleur lumineuse qui s’anesthésiait. Je croyais que j’imaginais une jeune fille au coucher de l’invisible soleil, mais je sais que c’était un rêve éveillé qui commençait. » / Des indices donc, des traces, ces relevés dont la succession procure ordinairement l’impression de détourer les contours d’une vie : né à Lyon, raflé et déporté dans un camp de travail aux derniers mois de la guerre, Lyon à nouveau, Megève, une inscription sans suite à l’Écoles des Beaux-Arts, puis à vingt ans Paris, la rencontre de Breton, la création de la revue Néon dont il passe pour avoir trouvé le titre et, dans ce tressaillement de l’initial surréaliste, comme une relance du côté de Vaché – mais Vaché visité par Nerval – une prompte exclusion, les amitiés aussi, mais en une configuration devenue trop mouvante pour qu’une main y tienne, et dès lors la seule chronologie du désordre, un engagement dans les parachutistes qui ne fait peut-être que rejouer celui de Rimbaud dans l’armée néerlandaise, la désertion suivie d’une réforme, le retour à Lyon, le cycle des enfermements : en prison après le vol d’une voiture, en maison de santé – dans les intervalles, le dérèglement sans joie d’une vie de noctambule, jusqu’à l’entrée volontaire à Saint-Jean-de-Dieu dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier 1954. « On publiera le moment venu le reportage de ma vie que je tiens maintenant par le titre : Du milieu de l’aventure au milieu du monde », écrivait alors Rodanski. Il avait vingt-sept ans et devait passer interné les vingt-sept années qu’il lui restait à vivre.
[…]
« Je vois mon âme en cette absence – Loin. » L’aventure surréaliste bientôt jugée vécue et indépassable, le miroir accroche une image de plage de Pennarch où Tristan mourant guetta à l’horizon l’apparition d’Yseut, ou le chromo d’une île de u pacifique, mais de l’origine au dernier retour, « loin » pour Rodanski ce fut en définitive Lyon. Avec son atelier croix-roussien à l’angle de la rue de Nuits et de la petite rue des Gloriette, des salles obscures – La Fourmi, Le Coucou, Le Bellecour –, des bars oubliés, le pars de la Tête d’Or, la voûte d’Ainay, le cours de la Liberté, les épiphanies nocturnes des quais de Saône, avant que ne se referment les portes de l’asile. Là pourtant, après les dernières lettres, l’effondrement de la langue et l’oubli, vingt ans plus tard, les textes et les poèmes laissés entre des mains amies le rejoignent. Un premier livre paraît et, dès lors, par bribes, épuisés, les mots reviennent, captés par des présences attentives. Horizon perdu est le titre, emprunté à Capra, du scénario d’un film qui se défait et, de bloc en bloc disjoints, laisse un peu filtrer de la lumière du labyrinthe. Des murs, un vaste jardin, des corridors déserts, un cloître : les images fixent la permanence du décor réel, celui de cette lettre jamais envoyée, datée du »jour de l’an I », bulletin d’état atmosphérique comme à jamais figé : « Par la fenêtre je vois le ciel pâle, des nuages de fumée blanche n’avancent pas. Une époque dans un fait divers se terminait… Il y a partout un vent glacé qui secoue toute la grande baraque. Et l’azur voilé de nuit blanche ne bouge pas. Tout est loin… »

___________________

* De et sur Stanislas Rodanski on recommendera : Le Cours de la liberté, frontispice de Jean-Gilles Badaire, éditions L'arachnoïde, 2010 ; et : Stanislas Rodanski, éclats d'une vie (éditions Fage, 2012). Alors qu'il était à l'hôpital Saint-Jean-de-Dieu à Lyon, Rodanski accepta de participer au tournage du film Horizon perdu, réalisé entre 1977 et 1980 par Jean-Paul Lebesson, d'après un bris-collage de Bernard Cadoux et Jean-Paul Lebesson, sur une fabulation de Rodanski (film 16 mm, noir et blanc, 37 min).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire