lundi 13 janvier 2014

Apostille à : Surréalisme et situationnistes au rendez-vous des avant-gardes



Du début du XIXe siècle à la seconde guerre mondiale, c’est-à-dire dans la période qui s’ouvre sur le romantisme et se referme avec le déclin des avant-gardes historiques, la plupart des grands courants artistiques et littéraires ont formulé, à côté d’un programme de renouvellement esthétique et culturel, une critique des conditions de vie qui avaient cours à leur époque. Cette critique a pu être, selon les cas, implicite ou explicite, se lier à des mouvements de masse et des organisations politiques révolutionnaires, ou au contraire se réfugier dans des formes subjectivité solitaire et révolté. Le mouvement situationniste fait à la fois continuité et rupture avec cette histoire, dans le sens où il procède à une fusion de l’esthétique et du politique.

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Et, de fait, si les situationnistes ont procédé […] aune critique intransigeante de la modernité capitaliste, ils ont aussi été, à bien des égards, de purs produits de l’« esprit moderne ». Ils en ont partagé la volonté de rationalisation, l’idéal de domination de la nature, la fascination pour les progrès de la science et de la technique. Devant le caractère absolument déraisonnable de la vie organisée selon les lois de la marchandise et de l’État, et en opposition aux surréalistes qui s’étaient servis de l’irrationnel pour « détruire les valeurs logiques de surface » de la socioété de leur temps, les situationnistes ont ainsi mis en avant la nécessité de « rationaliser davantage le monde, première condition pour le passionner ». Pour ce faire ils étaient notamment convaincus que les personnes désireuses de construire le cadre d’une vie quotidienne libérée seraient contraints d’employer les « forces déclenchées par la progrès technique, dont un nouveau tournant décisif s’est amorcé ». En disant cela, les situationnistes étaient pleinement conscients de s’inscrire dans la continuité de la pensée des Lumières, avec son rationalisme militant et sa critique des religions, appuyés sur l’évolution rapide de la science et de la technique : Debord insistait sur l’importance du XVIIIe siècle comme « moment où le développement atteint par les techniques et la pensée scientifique commence à faire dominer l’idée que notre milieu est transformable selon nos desseins ». La critique du spectacle était d’ailleurs un aboutissement de ce rationalisme militant, dans la mesure où elle considérait le spectacle comme une résurrection du phénomène religieux dans les modes de socialisation propres au capitalisme avancé.

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Les situationnistes, en ce sens, participèrent bien de ce mouvement d’acculturation de l’art à la technoscience dont témoignaient la plupart des avant-gardes de la seconde moitié du XXe siècle, comme l’a fait remarquer Paul Ardenne. Et leur critique de la dimension technocratique du capitalisme avancé, tout en s’inspirant des réflexions de Cornélius Castoriadis ou de jacques Ellul, ne remonta jamais comme chez ces derniers jusqu’à une remise en cause approfondie de la science et de la technique modernes en elles-mêmes.

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[…] dans la théorie critique comme dans la pratique révolutionnaire, le projet de l’I.S. fut bien de procéder à une « Aufhebung » de l’opposition tradition-modernité. / Mais cette « Aufhebung » a-t-elle été effective ? La question reste en effet posée de savoir si le romantisme sous-jacent à la démarche situationniste n’a pas joué dans leur analyse du monde contemporain le rôle d’un contenu latent qui sapait son contenu explicite « moderniste ». Le fait que le groupe se soit ouvert dans ses dernières années  à des problématiques écologiques comme la pollution , ou la remise en cause d’une science et d’une technique « aliénées » […] tend à confirmer cette hypothèse, de même que le parcours de plusieurs ex-situationnistes après l’autodissolution de l’I.S. en 1972.


[Ces extraits sont tirés de la contribution de Patrick Marcolini à : Une Autre histoire des « trente glorieuses », La Découverte. Je les commenterai ultérieurement.]

4 commentaires:

  1. Alice Becker-Ho publie un nouveau livre en mars 2014 : "Le premier ghetto ou l'exemplarité vénitienne" (éditions Riveneuve).

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    1. J’en suis bien aise. D’autant plus qu’elle est désormais aux premières loges dans son palazzo vénitien acquis grâce aux bonnes affaires qu’elle a pu faire ces derniers temps.

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  2. Qui va hériter de la fortune d'Alice Becker-Ho ? L'État ? Ce serait le comble !

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  3. Il faut saluer la générosité de Debord envers sa femme : il ne l'a pas laissée dans la misère. C'est dit sans ironie.

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