lundi 2 décembre 2013

Intermezzo



Politique de Retz – Extraits (suite) :


L’histoire et la politique sont un spectacle, mais celui-ci présente une double particularité ; il est dépourvu de sens, dans la double acception du terme : il est à la fois privé de direction et privé de signification.
[…]
Si le spectacle de l’histoire et de la politique est privé de sens, ce n’est pas seulement parce que l’auteur est défaillant, c’est aussi parce que les acteurs sont à des degrés divers insensés.
[…]
Divers stades du mal peuvent être distingués ; Retz souligne d’abord « l’extravagance de ces temps où les sots deviennent fous, et où il n’est pas permis aux plus sensés de parler et d’agir toujours en sages. »
[…]
Pris individuellement les acteurs […] sont dans une très large mesure insensés, mais leur réunion en corps collectifs, bien loin de les ramener à la sagesse, porte au contraire ce défaut à la seconde puissance.
[…]
En ce qui regarde le peuple, Retz n’a pas une très haute opinion de ses capacités politiques : c’est qu’à ses yeux le peuple est avant tout, non seulement amateur de spectacles, mais amateur naïf et facile à satisfaire.
[…]
[…] en règle générale, le peuple ne sait pas se gouverner lui-même, et il ne supporte qu’avec beaucoup de peine le gouvernement d’autrui. Cette contradiction prend des figures diverses. On l’a dit, le peuple se prend aux apparences, mais comme il a été souvent trompé, il est dans le même temps devenu méfiant ; du même coup observe Retz : « Il n’y a rien où il faille plus de précautions qu’en ce qui concerne les peuples, parce qu’il n’y a rien où il faille plus cacher, parce qu’il n’y a rien de plus méfiant. »
[…]
L’histoire et la politique sont le règne de la déraison parce que, pris individuellement, les êtres humains sont insensés, et que leur réunion en corps aggrave leur folie.
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La raison est par excellence la faculté du réel ; par elle, nous nous soumettons aux faits pour les ordonner ; si elle tient si peu de place en politique et en histoire, c’est peut-être parce que ces deux domaines relèvent, eux, du domaine de l’irréel ; plus précisément, ils appartiennent à un règne où l’imaginaire triomphe du réel et où la parole s’avère plus puissante que l’action.
[…]
De fait, comment la Fronde a-t-elle commencé ? En un premier temps, l’assoupissement des peuples tient à la durée de leur mal « qui saisit l’imagination des hommes et qui leur fait croire qu’il ne finira jamais ». Mais sitôt qu’ils aperçoivent une issue, « ils passent tout d’un coup à l’autre extrémité. […] Bien loin de considérer les révolutions comme impossibles, ils les croient faciles, et cette disposition toute seule est capable de les faire. »
[…]
Si l’imagination est à la fois puissance et faiblesse, source de force et créatrice d’illusion, l’acteur politique doit à la fois se garder lui-même de l’illusion et la produire chez les autres, se défier de sa propre imagination et s’emparer de celle d’autrui. Cette exigence s’impose notamment au début de sa carrière : « Le grand secret de ceux qui entrent dans les emplois est de saisir d’abord l’imagination des hommes par une action que quelque circonstance leur rende particulière. »

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