Revenons à la critique centrale de Janover
qui est d’abord une critique du rôle des avant-gardes* — et donc de l’I.S. en
tant que dernier avatar celles-ci. En substance : les avant-gardes —
principalement : futurisme, dada, surréalisme et, in fine, situationnistes — à travers leurs attaques contre les
archaïsmes de la société ont contribué à la modernisation nécessaire de la
domination qui, rattrapant ainsi le retard qu’elle avait dans le domaine de la
culture et de mœurs, a pu les récupérer à son profit — c’est ainsi que nombre
de leurs représentants ont pu y trouver la place qu’ils méritaient. Il n’est
pas le seul, ni le premier, à faire cette critique qui ne manque pas de
pertinence. Le fait qu’il soit hostile à Debord ne doit donc pas empêcher de le
lire.
D’ailleurs Anselme Jappe** qui, lui, est
plutôt favorable au leader situationniste, écrit-des choses similaires, par
exemple : « Le mot de Mallarmé : “La destruction fut ma Béatrice.”, s’est réalisé d’une façon fort
différente de ce que le poète s’était imaginé. C’est la société capitaliste
elle-même qui a tout mis sans dessus dessous. On a effectivement assisté à
l’ouverture de voies nouvelles et à l’abandon des modes traditionnels, non pour
délivrer la vie des individus de liens archaïques et étouffants, mais pour
abattre tous les obstacles à la transformation complète du monde en marchandise. »
— Debord n’a pas échapper à la marchandisation que l’on retrouve dans les
drugstores sous forme de figurines multicolores et de tee-shirts à son effigie.
Ou encore : « Un homme en rupture
totale avec le passé et les traditions (qu’il ignore), un homme qui ne suit pas
la pensée rationnelle et logique mais obéit à des impulsions inconscientes, indifférent
à la morale et coupé des liens sociaux, un homme qui perçoit le monde comme
sous l’emprise d’une drogue et se promène au hasard : on peut comprendre
que, vers 1925, une telle idée ait pu fasciner ceux qui ne supportaient plus la
monotonie de la vie bourgeoise. Mais cet individu que les surréalistes
appelaient de leurs vœux est devenu réalité sous la forme de l’individu
contemporain, et d’une façon aussi cruelle qu’ironique. Pour s’imposer dans son
intégralité, la société marchande-capitaliste avait besoin d’un individu
entièrement “nouveau”, et cet homme “nouveau” se trouvait en même temps être
l’objectif déclaré de nombreuses avant-gardes. » — les situationnistes ne
font pas exception qui prétendaient prendre le pouvoir de vitesse dans le bouleversement
de la société.
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* Rappelons à ce propos Tombeau pour le repos des avant-gardes (Sulliver 2005) du même
Janover auquel il fait des emprunts dans le présent livre.
** L’Avant-garde
inacceptable, Réflexions sur Guy
Debord, Lignes, Éditions Léo Scheer.
(À suivre)