Guy Debord a toujours pris son bien là où il
le trouvait — et il s’en vantait —, c’est-à-dire chez les autres ; et ce
dans tous les domaines — puisque, aussi bien, il était « né virtuellement
ruiné » dans un monde ruiné. Il a systématisé cela sous l’appellation de : détournement. On peut évidemment citer à côté de Nougé d’autres précurseurs
de cette méthode — le plus célèbre, et ouvertement revendiqué par Debord, étant
Lautréamont. Cependant, il existe une filiation directe entre les surréalistes
belges les situationnistes — et plus particulièrement entre Debord et Nougé
comme le montre Geneviève Michel. Nougé n’était pas de la même génération que
Debord mais il a pu constituer pour lui une figure paternelle positive en même
temps qu’il était reconnu par lui comme un « frère d’arme » — ce qui fut
également le cas de Jorn.
« Toute l’œuvre poétique de Nougé peut
être qualifiée de réécriture – même ses textes théoriques […]. / Ce recours
constant à la voix des autres ne laisse pas d’intriguer, même et d’autant plus
que le résultat est souvent un texte d’une haute qualité littéraire. Cette
qualité semble cependant être tenue pour négligeable, elle n’est en tout cas
pas revendiquée comme telle par l’auteur, puisqu’un certain nombre de ces
textes ne sont pas signés, ou le sont d’un autre nom […]. / Pourquoi cet
effacement ? L’on peut bien sûr se poser la question de l’impuissance
créatrice. […]. […] il n’en demeure pas moins qu’une telle constance dans le
retrait à tout de la stratégie délibérée. / Une telle tactique faite
d’effacement, d’attaques éclairs et de replis silencieux – comme une guérilla
[…] – semble conçue en vertu d’une idée – d’un idéal ? – qui dépasse
l’écriture envisagée d’un point de vue littéraire. / […] / Le choix de la
réécriture chez Nougé serait donc un choix qui découlerait d’un autre choix,
fondamental, concernant le sens de la vie et de l’activité humaine, et
dépendant des valeurs qu’il a faites siennes. »*
« Réécriture », le terme peut tout
à fait s’appliquer à l’œuvre de Debord — d’ailleurs n’est-il pas célébré aujourd’hui
d’abord comme un « écrivain, essayiste » avant d’être un « cinéaste »
puis finalement un « révolutionnaire français »** ? Et lui-même dans
son film testamentaire, par la bouche de Lacenaire à Garance lui disant : « Mais
c’est la gloire Pierre-François. », ne répond-t-il pas : « Oui,
ça commence… Mais à la réflexion, j’aurais tout de même préféré une éclatante
réussite littéraire. »
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* Geneviève Michel, Nougé, La Réécriture comme
éthique de l’écriture.
** Notice Guy Debord dans Wikipédia.
(À suivre)