mardi 2 octobre 2012

Ivan et Guy / 2



« Ivan passe les derniers moments de l’année 1953 en compagnie de Debord. […] Le 31 décembre 1953, il décide d’entreprendre  une grande “dérive” avec son compagnon. […] Au cours de cette dérive, Ivan et Guy, en état d’alcoolisme à peu près constant, voient s’effacer les frontières entre le jour et la nuit, entre le licite et l’illicite, entre la fraternité et l’hostilité, et même entre les vivants et les morts. Ils s’imaginent à un moment entourés de zombies, au cœur d’un rituel vaudou. Ces thèmes, assez étrangers à Debord, trahissent l’influence d’Artaud sur Chtcheglov : ils véhiculent toute une conception magique du monde et des rapports entre les êtres, une croyance irrationnelle en la puissance des sorts et des envoûtements. » Apostolidès et Donné affirment que les thèmes de l’ésotérisme et de la magie étaient « assez étrangers à Debord » ; est-ce si sûr ? Debord avait, à plusieurs reprises, manifesté son intérêt pour ces thèmes ; il avait même approuvé la suggestion d’Ivan de faire de l’I.L. une société secrète : « Eh oui très bonne idée – les lettristes pouvoir occulte, comme le Ku Klux Klan, l’œil de Moscou, l’Intelligence Service… » Apostolidès et Donné précisent dans une note que : « L’allusion à l’Intelligence Service perdurera discrètement dans le choix des initiales I.S. pour le mouvement fondé en 1957. » Dans une lettre à Ivan Chtcheglov Debord n’écrivait-il pas : « […] la montagne Ste Geneviève se révèle au long de l’histoire le haut-lieu de toutes les conspirations. Au XIXe s. le quartier le plus solidement insurrectionnel de Paris : Repaires des Sociétés Secrètes extrémistes d’alors – dans les bars de chiffonniers de la Rue des Patriarches. » (Le Marquis de Sade a des yeux de fille, Éditions Arthème Fayard.) Et j’avais signalé que le Tonneau d’Or n’avait certainement pas été choisi tout à fait au hasard pour remplacer Moineau.

Cependant : « La fraternité, la complicité et le partage des expériences dangereuses n’empêchent pas que des tensions se fassent jours entre Ivan Chtcheglov et Guy Debord. […] » En ce qui concerne la cause de ces tensions elle est plutôt à rechercher en dehors de la communauté d’idée qui unissait les deux « frères ». Il y a, accessoirement, le manque d’esprit pratique d’Ivan qui l’empêche de s’acquitter avec la diligence souhaité de la tâche que lui a confié Guy : la réalisation d’un nouveau numéro d’Internationale lettriste ; mais surtout le fait que Debord commence à ressentir la présence d’Ivan comme préjudiciable à son hégémonie. C’est ainsi qu’il va se rapprocher à nouveau d’un autre de ses « frères » qui avait précédemment été écarté : Gil J Wolman. Apostolidès et Donné écrivent : « Son efficacité contraste avec l’incapacité d’Ivan à faire paraître le fameux n° 4 d’Internationale lettriste dont Guy l’avait chargé […] / Mais le retour de Wolman au premier plan n’est pas seulement motivé par un souci d’efficacité : Debord le voit aussi comme un moyen d’empêcher Chtcheglov de marquer trop fortement l’I.L. de son empreinte. Il s’inquiète de la fascination croissante de ce dernier pour les doctrines ésotériques […]. / Guy ne souhaite pas rompre avec Ivan, qui lui a tant apporté dans les derniers mois ; mais il en vient à considérer son influence comme une menace pour sa suprématie intellectuelle. […] / Rien d’étonnant à ce que ces tensions aboutissent finalement à la rupture entre Chtcheglov et Debord, en juin 1954. » — « Il s’inquiète de la fascination croissante de ce dernier pour les doctrines ésotériques. » ; il faudrait écrire : « Il s’inquiète maintenant de la fascination croissante de ce dernier pour les doctrines ésotériques. » Cela dit il faut revenir sur cette rupture et sur ses motifs — qui n’est pas une exclusion comme Debord a voulu le faire croire.

(À suivre)

2 commentaires:

  1. L'ésotérisme et Guy Debord c'est une vieille histoire. Il crie bien trop fort contre Breton et son goût pour l'occulte pour qu'on s'y laisse prendre. Plusieurs signes attestent d'un intérêt pour l'occulte chez Debord. D'abord parce qu'il donne son horoscope, ensuite ses lignes de la main. Mais la couverture des "Contrats" est aussi une réplique de celle de Breton pour "Arcane 17", sauf que Breton choisi "l'étoile" et Debord le bateleur, carte dont il fait un commentaire en connaisseur.

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  2. C'est vrai que Debord jouait sur le fil du rasoir, d'un côté il voulait s'entourer de compagnons de qualité, de l'autre, il s'en méfiait. Mais je ne suis pas sûr que la mise à l'écart de Chtcheglov soit liée en la croyance qu'il puisse avoir un jour un rôle trop important. Très tôt Chtcheglov n'arrive plus à créer et il laisse tout de même son potentiel en friche.Je ne crois pas que ce soit là la faute de Debord

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