« La fondation de l’I.S. renvoie […] à
un processus de recomposition des alliances de Jorn : elle survient à une
époque où Jorn est encore intéressé par les échanges entre différents types de
capital qui s’opèrent dans les rassemblements artistiques et plus précisément
lorsqu’il se détourne d’un écrivain francophone, Jaguer*, et cherche à sortir
du milieu artistique italien**, en s’inscrivant à nouveau, entres autres
espaces artistiques, dans le champ artistique français. »
Eric Brun note qu’« [e]n 1954, lorsque
Jorn prend connaissance du bulletin de l’I.L., il est toujours en position de
“nouvel entrant” » ; il précise qu’« alors qu’il a commencé sa
carrière de peintre dans les année s1930, et alors qu’il est bien plus âgé que
Debord et ses amis, il reste néanmoins dans une position sociale
analogue : il est un artiste “marginal” dans la majeur partie des espaces
artistiques nationaux, à commencer par le champ artistique français, n’ayant
qu’une très faible notoriété en France et n’y ayant jamais exposé. » (Là
encore, il convient de corriger : Debord est certes
« “marginal” » mais ce n’est pas un artiste au même titre que Jorn ;
et il n’est évidemment question, pour lui, de « carrière ».) Il
remarque qu’au départ, Jorn et Debord sont loin d’être tout à fait sur la même
longueur d’onde, et que « seul l’intérêt objectif permet de comprendre que
Debord et Jorn neutralisent [les] points de désaccord réels ou potentiels »
Et cet « intérêt objectif » même s’il n’est pas le même des deux
côtés les rassemble. L’I.L. est en bout de course et elle est donc
effectivement, « à ce moment-là disponible pour une alliance », parce
qu’elle en a besoin pour se relancer ; Jorn quant à lui cherche à
« sortir de l’espace artistique italien ». Le 5 octobre 1954, il
écrit à son ami Enrico Baj : « Ici, tout se noie dans les petites
combines. Je ne suis pas fait pour cela et je me retire bientôt à Paris
[…]. » Brun commente : « On voit ainsi que Jorn entend affirmer
le caractère proprement artistique de son activité en s’inscrivant dans le
champ artistique français, plutôt que le seul champ italien. Dans cette
optique, il recherche un allié pour pénétrer ce champ, un allié qui serait en mesure,
par ses instruments conceptuels et sa maîtrise du français, d’introduire un
mouvement à l’avant-garde du champ artistique français et de mettre en avant
son caractère désintéressé. Or, à partir de 1955, Edouard Jaguer est de moins
en moins en mesure d’occuper cette fonction. »
____________________
*
Critique d’art, auteur du Premier bilan de l’art actuel (1953) où Cobra n’est
mentionné que dans une note de bas de page au chapitre « Peinture
belge » et par ailleurs « correspondant parisien de Cobra ».
** En 1953 Jorn entre en contact avec les
« Nucléaires » italiens groupe fondé par Enrico Baj avec l’aide
duquel il publie Imagine e forma qui
est considérée comme le premier numéro d’un bulletin d’information du Mouvement
International pour un Bauhaus Imaginiste. En 1956 paraît Eristica qui est considéré comme le second numéro, et où l’on
retrouve les futurs situationnistes italiens.
(À suivre)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire