Aucune
loi ne peut empêcher d’enfreindre ou de désobéir à la loi.
*
Les
œuvres de génie ont le pouvoir de représenter crûment le néant des choses de
montrer clairement et de faire ressentir l’inévitable malheur de la vie,
d’exprimer les plus terribles désespoirs, et d’être néanmoins toujours une
consolation pour une âme supérieure accablée, privée d’illusions, en proie au
néant, à l’ennui, au découragement ou exposée aux peines les plus amères et les
plus mortifères […]. En effet, les
œuvres de génie consolent toujours, raniment l’enthousiasme et, en évoquant et
en représentant la mort, elles rendent momentanément à l’âme cette vie qu’elle
avait perdue : ce que l’âme contemple dans la réalité l’afflige et la tue,
ce qu’elle contemple dans les œuvres de génie qui imitent ou évoquent d’une
autre manière la réalité des chose […], la réjouit et lui redonne la vie.
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Un
peuple entièrement raisonnable ou philosophe ne pourrait subsister faute de
mouvement et de personnes prêtes à accomplir les unes envers les autres les
tâches nécessaires à l’existence, etc., etc. Regardez donc ces hommes (il y en
a tant aujourd’hui) las du monde, désenchantés par leur longue expérience et,
pour ainsi dire, devenus complètement déraisonnables. Ils sont incapables de
s’engager dans aucune action, incapables d’avoir aucun désir.
*
Qu’avons-nous
donc appris de tant d’études, de tant de fatigues, d’expériences, de sueur, de
douleurs ? et la philosophie, que nous a-t-elle enseigné ? Ce qui
nous était naturelle quand nous étions enfants et que nous avons perdu et
oublié à force de sagesse ; ce que nos aïeux incultes et sauvages savaient
et faisaient sans songer à être philosophes, sans peine ni recherches, sans
observations ni profondeur, etc.
*
Aucun
siècle, même le plus barbare, ne s’est jamais cru barbare ; il n’en est
même aucun qui n’ait cru incarner la fine fleur de tous les siècles et qui ne
se soit considéré comme l’incarnation de la perfection de l’esprit humain et de
la société. Méfions-nous donc des jugements que nous portons sur notre époque,
ne regardons pas l’opinion actuelle mais les faits et essayons d’imaginer ce
que sera le jugement de la postérité – dans la mesure où elle sera capable de
juger correctement (12 février 1821).
*
Je
n’hésite pas à le prédire : l’Europe entièrement civilisée sera la proie
de ces semi-barbares qui la menace depuis confins du Septentrion ; et
quand ces conquérants deviendront à leur tour civilisés, le monde retrouvera
son équilibre. Mais tant qu’il restera des barbares dans le monde, ou des
nations nourries d’illusions puissantes, convaincantes, durables et
irraisonnées, les peuples civilisés seront leur proie. Lorsque, plus tard, la
civilisation, qui se montre aujourd’hui une conquérante avide, puissante,
insatiable, n’aura à son tour plus
rien à conquérir, alors, ou bien l’on retournera à la barbarie, et si c’est
possible, à la nature par un nouveau chemin radicalement opposé au chemin
naturel, c’est-à-dire celui de la corruption universelle comme à la Basse
époque, ou bien… je ne saurais aller plus avant dans mes prédictions. Le monde
entrera alors dans une autre phase adoptant comme une essence et une existence
nouvelle. (24 mars 1821.)
(À
suivre)
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