« On
essaiera de tenir l’équilibre entre l’admiration (immense) et la détestation
(extrême). », affirme encore notre anonyme dans son Introduction avant
d’aborder le sujet — mais il s’agit plutôt de le saborder voire de le saboter.
Après un premier chapitre qui passe vite fait en revue quelques-unes des
influences debordiennes : Breton, Sartre ; et où il déplore sa
« liaison » contre-nature avec Lebovici qui était, dit-il, une
« grande erreur » parce qu’il est « malsain de dépendre d’un
grand bourgeois » quand on est un révolutionnaire ; il aborde son
domaine de prédilection : « L’âge d’or de l’Internationale
Situationniste (1964-1969) ». Disons tout de suite que nous ne sommes pas
d’accord avec cette qualification. Si l’on considère l’activité de l’I.S. dans
son ensemble, on s’aperçoit assez facilement, à l’examen, que ce prétendu
« âge d’or » est de mauvais aloi — qui plus est, il va se solder par
la faillite de l’entreprise situationniste.
Dire
que c’est pour s’être débarrassé de « ses oripeaux anti-artistes, des
sous-produits surréalistes (dérive), etc. » que Debord « fit alors
preuve d’une lucidité sans égal sur l’Algérie, sur les États-Unis, sur la
Chine, sur mai 68 même », n’est pas sérieux. Les grandes qualités de
stratège et de théoricien que l’on doit reconnaître à Debord se retrouvent tout
au long de sa carrière — du début jusqu’à la fin où elles ne seront plus mises
au service que de sa seule cause. (Sa capacité à analyser une situation sans
sortir de chez lui en lisant simplement les journaux et en déplaçant les pièces
d’un kriegspiel est sans doute le
trait le plus remarquable de son talent.) Il n’empêche que la liquidation des
artistes qu’il a opérée au début des années 60, si elle a constitué une rupture
radicale avec la période précédente ne fut en rien un progrès, bien au
contraire. En la coupant de ses racines (anti)artistiques Debord appauvrissait
(intellectuellement et humainement) l’I.S., la condamnant ainsi à plus ou moins
long terme. Si personne ne niera le rôle joué par l’I.S. dans la révolte de mai
68, le fait est que celle-ci sonnera la fin de celle-là. On peut même affirmer
que l’I.S., qui était visiblement en bout de course avant 68, fut sauvé in extremis par le retour mondial de la subversion
cette année-là — qui lui permis ainsi de finir en beauté.
Une
des grandes qualités de Debord aura été l’opportunisme : il a toujours su
tirer le meilleur parti des situations qu’il n’avait pas lui-même crées. Cela
est particulièrement visible après 68 qu’il s’annexera sans vergogne. Notre
anonyme écrit : « Comme quelqu’un qui a fait un placement spéculatif
et veut retirer ses billes, comme un financier qui réalise un retour sur
investissement, mutatis mutandis,
juste après 68 Debord engrange les fruits de la réussite, se voyant récompensé,
tout révolutionnaire qu’il est, de sa prescience, de sa lucidité, de ses
analyses sur la société, etc. » C’est assez vrai. À la différence près
qu’il va devoir justement s’employer à survaloriser le rôle de l’I.S. dans cet
épisode révolutionnaire dont on peut dire que, si elle l’avait annoncé, elle
n’en aura été somme toute que l’une des composantes — certes la plus radicale
mais aussi la plus minoritaire ; se montrant d’autant moins capable de
propager l’incendie révolutionnaire qu’elle était elle-même sur le point de
s’éteindre.
(À
suivre)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire