Après
l’apothéose debordienne de la BnF, redescendons sur terre pour nous occuper de
ces « petites choses » qui échappent forcément lorsqu’on prend trop de
hauteur et qu’on est grisé par l’ivresse des sommets.
Dans
les Justifications liminaires d’un
opuscule intitulé : Des Contrats Debord
écrit : « Rien n’est égal dans de tels contrats ; et c’est
justement cette forme spéciale qui les rend si honorables. Ils ont choisi en
tout leur préférence. Tous sont faits pour inspirer
confiance d’un seul côté : celui qui pouvait seul avoir mérité
l’admiration. » Rappelons de quoi il s’agit. Ce petit livre est une
autocélébration — une sorte de panégyrique donc — où Debord, présente les différents
contrats établis pour la réalisation de ses films et montre complaisamment
comment il s’y est pris pour se réserver le droit de faire exactement ce qu’il
voulait — et même celui de ne rien faire du tout. Bref pour s’octroyer la part
du lion — ce qui n’a pu se faire sans l’accord de son mécène et ami Gérard
Lebovici, il n’est pas permis d’en douter. Cependant, Debord ajoute :
« Tous ces contrats, en outre, n’auront pas manqué d’être assez bien
calculés pour satisfaire à ce qu’il y a de luxueux dans quelques-uns de mes
besoins, en restant incontrôlables à tous les point de vue ; ni sans avoir
jamais révélé rien de trop, fût-ce implicitement. » Ce qui relève, au
minimum, du cynisme, si ce n’est de la duplicité. Mais « l’artiste » n’est-il
pas souverain ?
Debord
a choisi d’illustrer ce livre en faisant mettre en couverture la reproduction
d’une lame du tarot de Marseille, « La plus mystérieuse et la plus belle à
mon sens : le bateleur. » écrit-il à son éditeur ; et il continue :
« Il me semble que cette carte ajouterait, et sans devoir l’y impliquer
trop positivement, quelque chose que l’on pourrait voir comme une certaine
maîtrise dans la manipulation ; et en rappelant opportunément l’étendue de
son mystère. » Bref : il aura bien
trompé son monde ; et on n’y a vu que du feu.
Voyer
qui ne fait pas dans la dentelle, le traite carrément d’escroc. Mais aveuglé
par sa vindicte, il ne veut pas voir qu’il faut séparer les domaines : il
y a l’œuvre publique et publiée de Debord qui a une importance certaine ;
d’un autre côté, il y a la manière dont il a organisé sa vie et ses relations —
je rappellerais ici que Ralph Rumney a dit
que Debord « a fait autour de lui, avec ses amis, une catastrophe ».
Est-ce qu’il faut, sous prétexte que Debord était un « génie » tout
excuser ? (L’éditeur de Voyer pense que Voyer lui aussi est un « génie ».)
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Guy Debord, Des Contrats, Le temps
qu’il fait, 1995.
(À
suivre)
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