Les
fiches publiées à la fin du Catalogue de l’exposition de la BnF concernant ce
projet de « pamphlet swiftien » qui se serait appelé : Les Erreurs et Échecs de M. Guy Debord
par Un Suisse impartial ou bien encore : Mémoire sur les fautes et les crimes de Guy Debord sont
postérieures à 1984. Le Panégyrique
date de 1989. Ce projet auquel Debord a renoncé était en fait un Panégyrique avant la lettre ; ou
plutôt une sorte de panégyrique à l’envers — si l’on peut dire. On peut
d’ailleurs noter une certains nombre de similitudes entre ces fragments d’un
livre abandonné et Panégyrique ;
par exemple l’évocation de la naissance à Paris dans une famille bourgeoise
ruinée par la crise et ce qui s’en suit ; et l’on retrouve dans les deux la
même citation détournée : « On aime mieux la chasse que la
prise. » dans Panégyrique ;
qui dans Erreurs et Échecs devient :
« Il a aimé la chasse plus que la prise. » Il s’agit d’une citation
de Pascal : « C’est le tracas qui nous divertit ; raison
pourquoi on aime mieux la chasse que la prise. »
La
question se pose de savoir pourquoi Debord a abandonné la forme du pamphlet
anonyme, écrit « du point de vue social
dominant », et manifestement dirigé contre lui. Celui-ci devant paraître
chez Champ Libre, il a pu penser que la supercherie aurait sans doute été trop vite
éventée ; ou peut-être Debord s’est-il avisé du danger qu’il y avait à se
placer dans la situation d’être son propre critique : connaissant trop
bien le sujet, il courait le risque de se découvrir plus qu’il ne l’aurait
souhaité. On s’aperçoit par comparaison que, si les portraits brossés d’un côté
par le « critique » et de l’autre par le panégyriste se ressemblent
évidemment puisqu’il s’agit de la même personne, le fait de devoir parler
négativement de lui a incité Debord à plus d’âpreté — et peut-être à plus de
vérité.
Il
est évidemment difficile de savoir si d’avoir endossé le rôle du Suisse
impartial n’aura pas, au contraire, incité Debord à forcer le trait et à aller
plutôt dans le sens de la caricature — mais une caricature peut être plus parlante
que le meilleur portrait. Une certaine ambigüité subsiste là aussi ; sans
doute voulue. Il n’empêche que le portrait qui se dessine dans Erreurs et Échecs est, disons, plus
réaliste que la figure de « grand seigneur » qui fait superbement le
bilan de sa carrière dans le Panégyrique.
Pour simplifier, il y a d’un côté un portrait dans le genre classique où le
personnage prend avantageusement la pose pour la postérité ; et de l’autre
une eau-forte où les traits plus nettement découpés le montrent sans afféteries.
(La vérité se situe sans doute entre les deux.) Debord apparaît là comme un
esprit essentiellement négatif et négateur : un nihiliste qui ne soucie
pas de construire quoi que ce soit. Un manipulateur — voire un imposteur — dont
les objectifs doivent rester assez vagues et généraux — si tant est qu’il vise
un but précis puisque, aussi bien, il est présenté comme un joueur qui « a
aimé le jeu, mais non pour en tirer quelque résultat ». Le critique souligne
aussi, à travers ce goût pour le jeu, le côté puéril du personnage : un
grand enfant qui aime les « jeux de bataille », les
« labyrinthes urbains » où l’on peut se perdre — comme dans les « tavernes
mal famées » où l’on joue à s’encanailler ; il n’oublie pas non plus son
ivrognerie impénitente et revendiquée à propos de laquelle Debord s’étonne
lui-même qu’on ne la lui ait jamais imputée à charge.
Pour
conclure, il faut s’arrêter sur une phrase de ce réquisitoire du Suisse
clairvoyant : « [N]ous ne pensons pas davantage qu’il soit difficile
de montrer ses erreurs et ses fautes, ou plutôt les principales d’entre elles,
et ceci sans jamais se risquer à des interprétations aventurées, ou qui
pourraient sentir la malveillance ; mais seulement en s’en tenant à ce qui
est exprimé dans ses propres écrits incontestés, ou dans ce qui est tout de
même notoire dans sa conduite qui n’a pas toujours été si mystérieuse qu’on l’a
dit maladroitement. » Ce qui veut dire que Debord via le Suisse affirme que l’on peut tout à fait porter un jugement
sur lui et son action en se référant simplement à ce qu’il a écrit et à ce que
l’on peut savoir de ce qu’a été sa vie. Cela laisse le champ libre à une saine
critique qui ne devrait pas manquer de se développer ces temps prochains.
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