On
trouvera ci-dessous la traduction d’un article du Corriere della Sera daté du 7 juillet 1993 et concernant une lettre autographe, retrouvée,
de Leopardi.
Le
texte italien se trouve à l’adresse suivante :
« Je
n’écris pas, je ne lis pas, je ne pense pas. » Ainsi Leopardi se confessait-il
à la nièce de Napoléon. La lettre a été acquise par l’éditeur français Allia
pour environ neuf millions de lires.
*
« Mon
père et mes frères m’écrivent en pleurant de ne pas avoir de réponse ni de mes
nouvelles depuis trois mois ; et moi je ne lis pas leurs lettres en
entier. » C’est ce qu’écrivait Leopardi à son ami Antonio Ranieri le 9
mars 1833. Deux mois après, le 17 mai, de Florence, il répondrait, au
contraire, avec la lettre la plus longue et affectueuse qu’il ait écrite dans
cette année maudite, à Charlotte Bonaparte. Une lettre en français, acquise ces
jours derniers dans une vente aux enchères parisienne par la maison d’édition
française Allia, pour 33 milles francs, presque 9 millions de lires. (Les
éditions Allia, dirigées par Gérard Berréby et Gianfranco Sanguinetti, sont en
train de publier toutes les œuvres de Leopardi, que la France avait presque
ignorées pendant des années. Le manuscrit qui sera publié par Allia accompagnée
d’une étude critique et philologique, sera cédée au Centre National d’Études Leopardiennes
de Recanati.) Il s’agit d’un document inconnu jusque-là dont la découverte est
par beaucoup de côtés exceptionnelle : de fait, au-delà de cinquante ans,
on ne pouvait s’attendre à ce qu’il soit retrouvé un autographe léopardien
d’une telle importance. Une année maudite, disait-on. Leopardi qui après
« seize mois de nuits horribles » avait quitté Recanati, depuis trois
ans, semblait retrouver à Florence une nouvelle ardeur, grâce à l’aide de
bienfaiteurs anonymes. Mais l’illusion d’une reprise physique et psychologique
dura peu. « J’ai tout perdu, écrira-t-il durant l’été 1833, je suis un
tronc qui sent et souffre ». Mais le coup de grâce définitif arrivera
durant l’été 1833, avec la désillusion concernant la séduisante Fanny Targioni
Tozzati, l’Aspasia du Chant homonyme.
Bien différente la relation avec Charlotte Bonaparte dont on sait bien peu.
Charlotte naquis à Paris en 1802. Fille d’un des frères de Napoléon, Joseph,
nommé roi d’Espagne, ensuite en exil aux États-Unis, Charlotte avait épousé, le
cousin de Napoléon, Louis. Elle devint veuve très jeune, en 1831 : son
mari, parti combattre dans l’insurrection de 1831, mourut de maladie à Forli.
Depuis ce moment, elle resta à Florence avec sa mère, entourée d’une petite
cours au Palais Sarristori. Passionnée d’art et elle-même dessinatrice, amie,
entre autres, de Capponi et Giordani, elle tenait l’un des salons littéraires
les plus vivants de Florence. Que disent les trois pages d’une écriture serrée
en français et adressées à Charlotte ? D’abord, Giacomo s’excuse, avec
galanterie, d’avoir répondu avec retard à la lettre de la dame : « Je
n’imiterai pas, Madame, votre modestie, laquelle vous fait dire que votre
lettre est longue, quoi qu’elle me soit apparue très courte. Je conviendrai du
fait que cette mienne lettre n’est pas longue, quoi qu’elle puisse le
sembler : je dirai de plus que le plaisir de m’entretenir avec vous
m’emporterait bien loin de ma mélancolie, si mes yeux ne refusaient pas inexorablement
de remplir leur ministère. » Mais les parties les plus intéressantes de la
lettre s’attardent sur l’état de santé auquel était réduit le poète, sur
l’impossibilité d’entreprendre une quelconque activité, sur le désintérêt de
tout sujet de société et par-dessus tout des progrès de l’humanité qu’il ne le
concernait pas. En voici un bref passage : « Quant à moi, vous savez
que l’état des progrès de la société ne me regarde aucunement. Le mien, s’il ne
régresse pas, est éminemment stationnaire. Mes occupations consistent toujours
à tâcher de perdre tout mon temps ; je n’écris pas, je ne lis pas, et je
fais tous mes efforts pour penser le moins que je peux ; une ophtalmie
très obstinée, qui me rend absolument impossible quelque espèce d’occupation, m’aide
à perfectionner dans la nullité de ma manière de vivre. » Une simple amitié ?
Ou quelque chose de plus ? On sait avec certitude que Leopardi l’a connu
le 14 juillet 1831, comme le confirme une lettre à Paolina envoyée le même
jour : « Ce soir je dois être présenté à Madame la Princesse veuve de
Napoléon Bonaparte le jeune, femme de beaucoup d’esprit qui a mis la moitié de
Florence sans-dessus-dessous pour me pousser à aller chez elle. » Giacomo
ira au Palazzo Serristori : mais il rencontrera une femme horrible, bossue
et laide, comme la décrit Giordani, lequel ne montre rien moins que de la
curiosité en ce qui concerne la relation entre le poète et la Princesse. Les
autres amis se limitèrent à murmurer quelques méchancetés. Sur l’aspect de la
Princesse, du reste, Giacomo non plus n’osera pas trop se compromettre après
l’avoir connu personnellement. Le 2 juillet, en fait, il écrira en français, à
sa sœur : « Charlotte Bonaparte est une personne fascinante ;
pas belle, mais doté de beaucoup d’esprit et de goût, et très cultivée. Elle
dessine bien et a de beaux yeux. » Il raconte ensuite qu’à la demande
d’écrire un compliment sur son album, Leopardi avait demandé du temps. Il s’est
rattrapé rapidement avec une dédicace qui devait sembler peu courtoise (du
moins quant aux connaissances linguistiques de la dame), bien qu’elle fût
pleine de galanterie empruntée : « Madame la Princesse, j’aurais
voulu vous le dire en grec ; mais comme cela n’est permis qu’à condition
de me traduire aussitôt, il est préférable que je vous dise simplement en
français que vous êtes faite pour enchanter les esprits et les cœurs. » En
effet, le charme de Charlotte devait être tout à fait singulier, si un autre
élève de David (avec lequel la même Charlotte avait étudié), le suisse Léopold
Robert, qui la fréquentât longtemps, en était tombé éperdument amoureux jusqu’à
se suicider en 1835. La Dame elle-même mourrait quatre années plus tard.
S’étant retrouvé enceinte d’un homme resté totalement inconnu, elle s’éloigna
de Florence à la recherche d’un endroit où accoucher loin du milieu où elle
était connue. Elle embarqua à Civitavecchia et débarqua à Livourne déjà en
dangereuse situation. Elle poursuivit jusqu’à Sarzana où elle mourut en mars
1839. Une intervention chirurgicale avait permis d’extraire un fœtus déjà mort.
Charlotte avait trente-sept ans.
Paolo
di Stefano
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