lundi 13 mai 2013

Cryptanalyse d’In girum / 8



C’est donc au milieu des « ruines » que Debord revient pour raconter son histoire : Paris a cessé d’exister On ne verra la ville qu’à travers des reconstitutions cinématographiques ; des photos aériennes et une maquette filmées au banc-titre ; de vielles photos recyclées, souvent recadrées, tirées de ses premiers courts-métrages. L’aventure est morte : que sont les « beaux enfants » devenus ? Cette évocation de Paris et de la jeunesse est un chant funèbre : une élégie ou un tombeau, pour employer des termes musicaux. On pourrait dire plus généralement d’In girum que c’est une fugue*. Mais l’exposition du thème par la voix de Debord restera sans réponse autre que celle qu’il apporte lui-même, seul « sujet important » de l’œuvre : il n’en reste qu’un et il est celui-là — puisqu’aussi bien tous les autres, d’une manière ou d’une autre, ont disparu.



Fugue : fuite, exil. « Seigneur, je suis de l’autre pays. » Il y avait un but : « Il faut construire l’hacienda. » Mais le chemin ne menait nulle part. Il était à lui-même son propre but : « C’est une marche qui a beaucoup durée. » Le jeune Debord avait écrit à Hervé Falcou : « Nous irons plus loin sans jamais avancer. » Qui refusa d’entrer dans un jeu dont la seule règle énoncée était : « Rien n’est vrai ; tout est permis. » — et où pour finir le diable rafle tout, « joueurs, dés et tapis vert ». Il en a trouvé d’autres qui ont bien voulu être de la partie. C’est leur histoire qu’il va maintenant raconter dans cette première époque.



__________________



* « Forme de composition à plusieurs parties, entièrement basée sur le principe de l'imitation et dans laquelle un thème principal du sujet, et un ou plusieurs thèmes secondaires, ou contre-sujets, semblent fuir sans cesse de voix en voix. La fugue est issue du canon, qui portait en effet, à l'originelle titre de fuga, et qui, par le résultat d'une longue préparation historique à laquelle ont surtout efficacement contribué les grands organistes du XVIIe siècle, à été transformé et organisé en un style plus riche, dont l'austérité même est un élément de beauté et qui comporte, sous la rigueur d'un plan général à peu près immuable, des possibilités d'invention illimitées. »



Marie Bobillier, Dictionnaire pratique et historique de la musique (1926).)



« FUGUE, du latin fuga, fugue, parce que les parties, partant successivement, semblent se fuir et se poursuivre l’une l’autre. […] Anciennement ce qu’on appelait ainsi, fuga, fugue, n’était autre chose qu’un canon rigoureux, c’est-à-dire une imitation contrainte d’un bout à l’autre. […] [L]a réponse de la fugue, c’est-à-dire le même sujet repris par une autre partie à la quinte ou à la quarte, répétait intervalle par intervalle et uniformément le mouvement du premier sujet entendu. […] / Les diverses parties de la fugue sont le sujet, le contre-sujet, la réponse, l’exposition, les épisodes, les reprises modulées, le stretto et la pédale. Toutes les parties bien enchainées ensemble et développées dans de justes proportions constituent la conduite de la fugue. […] / La fugue est la pierre de touche du savoir des musiciens. Quand on disait d’un compositeur, il a manqué la réponse, on ne pouvait, dit M. Fétis, rien ajouter de plus méprisant. […] »



Joseph d’Ortigue, Dictionnaire liturgique, historique et théorique de plain-chant et de musique d’église au moyen âge et dans les temps modernes (1853)





(À suivre)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire