Pendant le déroulement de la quatrième
séquence des Enfants du paradis où l’on
voit Lacenaire en compagnie de Garance entrer dans un « bouge » avec
sa « fine équipe » et s’installer à une table où on leur sert à boire,
le commentaire énonce : « C’était le labyrinthe le mieux fait pour
retenir les voyageurs. Ceux qui s’y arrêteront deux jours n’en repartiront
plus, ou du moins tant qu’il exista. […] Personne ne quittait ces quelques rues
et ces quelques tables où le point culminant du temps avait été découvert. »
Le thème du labyrinthe urbain est assez convenu — On le trouve par exemple chez
De Quincey que cite Debord. Mais il faut s’arrêter sur l’expression : « le
point culminant du temps ». Elle implique à la fois une suspension et un
équilibre précaire qui doivent tous
deux être rompus ; parce qu’on ne peut pas arrêter le temps et qu’on ne
peut pas non plus se maintenir longtemps au sommet — il faudra nécessairement redescendre.
Le temps ainsi spatialisé ouvre, un bref instant, à une vision panoptique de l’histoire
qui se dévoile comme totalité. Il faut bien noter que ce « point culminant »
si situe à l’origine — la jeunesse — ; comme dans la vision gnostique du
monde la perfection du plérome qui doit
être brisée : c’est alors que l’histoire commence qui est une « chute
dans le temps ». Debord évoquera à une nouvelle fois ce « paradis
perdu » dans son Panégyrique :
« Entre la rue du Four et la rue de Buci, où notre jeunesse s’est si
complètement perdue, en buvant quelques verres, on pouvait sentir avec
certitude que nous ne ferions jamais rien de mieux. »
Ainsi, Paris n’a, à l’évidence, pas le même
statut que les autres villes que Debord a habitées ensuite. Non seulement c’est
la ville de sa jeunesse et de ses débuts dans la « carrière criminelles»,
mais c’est véritablement le « centre du monde » — le « point
culminant du temps » — d’où tout est parti et vers quoi tout ramène. C’est
aussi pourquoi la « chute de Paris » — identifiée à celle d’Ilion — constitue
un véritable drame cosmique ; et le signe d’un exil qui n’aura pas de fin :
éternellement il faudra tourner dans la nuit du monde jusqu’à ce que vienne le
feu qui jugera tout.
C’est à ce titre aussi que ces figures du Quartier
évoquées par Debord dans cette première époque ont un statut particulier que ne
pourront avoir ceux qui viendront après — ils ne seront jamais que des (trop) tard
venus — elles en sont véritablement
les héros. Il convient donc d’examiner avec une attention particulière ces « charmants
voyous » et ces « filles orgueilleuses » qui habitèrent « ces
bas-fonds » avec lui ; et qui constituaient cette « chevalerie
errante » promise à la perte.
(À suivre)
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