La question du titre de ce film « difficile »
n’est évidemment pas anodine ou accessoire. D’autres ont été envisagés, mais
c’est celui-là : In girum imus nocte
et consumimur igni, rencontré en cours d’élaboration, qui a été retenu. Où
que Debord l’ait trouvé, et qu’il ait dissimulé ou non cette origine, nous
faisons l’hypothèse que cette rencontre — hasard objectif en tout cas — est
apparu d’emblé à Debord comme étant en parfaite adéquation au contenu de son
film, dont il organise les éléments préalablement rassemblés — comme les « structures
portantes » de Jorn pour les Mémoires
— dans le « scénario ». Son film trouve ainsi dans le palindrome non
seulement un titre mais, à travers celui-ci, la forme de son contenu :
celle d’une spirale qui vu dans l’axe apparaît comme cercle — image conjointe
du temps et de l’éternité.
La figure du palindrome a été l’occasion de
rapprocher Debord de Nietzsche. Ainsi Fabien Danesi* : « La figure du
cercle – présente dans cette phrase – témoigne en faveur de l’éternel retour
nietzschéen, plutôt que de la linéarité historique. » ; qui note
cependant le « motif de la spirale », à juste titre :
« cette figure réunit un développement chronologique inéluctable et un
possible renouvellement » — ce qui n’est pas nietzschéen : celui-ci
postule l’éternel retour du même. S’il faut rapprocher Debord d’un philosophe,
c’est plus certainement vers Héraclite qu’il faut se tourner. D’abord parce
qu’on y retrouve les deux grands thèmes du film de Debord : l’eau et le
feu. De plus, s’il est bien le penseur de l’écoulement de tout — pantha rhei — tout
s’écoule éternellement : tout passe sauf le passage. Il faut aussi
rappeler le rôle du feu chez Héraclite : « Ce monde, le même pour
tous, ni dieu, ni homme ne l’a fait, mais il était, il est et il sera, feu
toujours vivant, s’allumant en mesure et s’éteignant en mesure. » ;
et encore : « Mort de la terre, de devenir eau, mort de l’eau, de
devenir air, de l’air de devenir feu ; et inversement. » ; et
enfin : « Le feu, survenant, jugera et saisira tout. »**
____________________
* Dans l’article consacré à In girum dans le catalogue de
l’exposition Debord de la BnF.
** Les citations d’Héraclite sont tirées de
l’édition incomparable des Fragments
due à Marcel Conche aux PUF.
(À suivre)
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