samedi 18 mai 2013

Cryptanalyse d’In girum / 11



Debord commence, comme il se doit, par évoquer les « “petites filles qui te donne tout” ». On voit à ce moment du commentaire — citant une chanson de prisonniers — une photo de « […] mineure détournée » que l’on pourrait prendre pour celle d’Éliane Papaï, l’une de ses « petites amoureuses » de l’époque. Mais, c’est aussi la photo qui est détournée : il s’agit d’une photo tirée du magazine Elle où l’on voit une jeune fille serrée de près par un jeune homme. Debord a recadré la photo de façon à ne conserver que le seul visage de fille qui ressemble à Éliane. Cela ne pourrai n’être qu’anecdotique. Cela l’est, d’une certaine manière, mais c’est une anecdote significative — pour ne pas dire signifiante — qu’il s’agit. Si l’on creuse un peu, on peut y trouver une allusion à la relation d’Éliane Papaï avec Jean-Michel Mension. Celui-ci affirme que l’on peut voir là la cause du « suicide manqué réussi » de Debord. On peut bien sûr objecter que les relations amoureuses de Debord se faisaient plutôt sur le mode du libertinage ; et qu’il ne pouvait donc être affecté par une infidélité. Peut-être. Pourtant le libertinage, en pratique, n’exclut pas une conception plus élevé de l’amour — qui était, par exemple, celle des troubadours, une des références debordienne. Mension dit par ailleurs de Debord qu’« il aimait la folle jeunesse […] ; les très jeunes filles pas touchées par la saleté du monde », il est vrai qu’il ajoute : « pas pures, je l’ai jamais entendu parler de pureté […], mais pas encore femme ». On peut noter à ce propos le côté androgyne qui plaisait tant à Debord chez ces jeunes filles — dans lequel on peut voir une nostalgie de l’origine, du temps d’avant la séparation.

À la suite de la photo de la « fausse Éliane » que Debord a séparé de son compagnon en recadrant celle-ci, apparaît la photo du couple formé par Andréas Baader et Gundrun Ensslin, tirée elle aussi d’un magazine, Le Point en l’occurrence : « La plus belle jeunesse meurt en prison. ». On pourrait s’étonner que Debord fasse une place dans sa galerie de portraits à des « terroristes » dont il est idéologiquement éloigné ; mais se sont des rebelles, des combattants morts en captivité.

La vraie Éliane aura droit à un hommage un peu plus loin : « Celle qui était la plus belle cette année là. » ; pendant que le commentaire cite le panégyrique de Bernard de Clairvaux : « […] Elle fuit, elle fuit comme un fantôme […]. ». Elle réapparaîtra, comme il se doit : « La même revient. » au moment où Debord mentionne pour la première fois le palindrome dont il donne la traduction  qui suit: « Nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes dévorés par le feu. »

Le début de la citation du panégyrique de Bernard de Clairvaux : « Bernard, que prétends-tu dans le monde ? […] » est associé à une photo de Debord à vingt ans. Elle se situe à la suite de celles des « égaux » — « […] Qu’est-ce que l’amitié ? L’égalité des amis. » — : Ivan Chtcheglov, Gil J Wolman, Robert Fonta, et Ghislain de Marbaix dans laquelle Debord vient prendre sa place. Mais on sait qu’il était « plus égal que les autres. »

(À suivre)

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