Debord commence, comme il se doit, par
évoquer les « “petites filles qui te donne tout” ». On voit à ce
moment du commentaire — citant une chanson de prisonniers — une photo de
« […] mineure détournée »
que l’on pourrait prendre pour celle d’Éliane Papaï, l’une de ses
« petites amoureuses » de l’époque. Mais, c’est aussi la photo qui
est détournée : il s’agit d’une photo tirée du magazine Elle où l’on voit une jeune fille serrée
de près par un jeune homme. Debord a recadré la photo de façon à ne conserver que
le seul visage de fille qui ressemble à Éliane. Cela ne pourrai n’être
qu’anecdotique. Cela l’est, d’une certaine manière, mais c’est une anecdote
significative — pour ne pas dire signifiante — qu’il s’agit. Si l’on creuse un
peu, on peut y trouver une allusion à la relation d’Éliane Papaï avec Jean-Michel
Mension. Celui-ci affirme que l’on peut voir là la cause du « suicide
manqué réussi » de Debord. On peut bien sûr objecter que les relations
amoureuses de Debord se faisaient plutôt sur le mode du libertinage ; et
qu’il ne pouvait donc être affecté par une infidélité. Peut-être. Pourtant le
libertinage, en pratique, n’exclut pas une conception plus élevé de l’amour — qui
était, par exemple, celle des troubadours, une des références debordienne.
Mension dit par ailleurs de Debord qu’« il aimait la folle jeunesse
[…] ; les très jeunes filles pas touchées par la saleté du monde »,
il est vrai qu’il ajoute : « pas pures, je l’ai jamais entendu parler
de pureté […], mais pas encore femme ». On peut noter à ce propos le côté
androgyne qui plaisait tant à Debord chez ces jeunes filles — dans lequel on
peut voir une nostalgie de l’origine, du temps d’avant la séparation.
À la suite de la photo de la « fausse
Éliane » que Debord a séparé de son compagnon en recadrant celle-ci,
apparaît la photo du couple formé par Andréas Baader et Gundrun Ensslin, tirée
elle aussi d’un magazine, Le Point en
l’occurrence : « La plus belle jeunesse meurt en prison. ». On
pourrait s’étonner que Debord fasse une place dans sa galerie de portraits à
des « terroristes » dont il est idéologiquement éloigné ; mais
se sont des rebelles, des combattants morts en captivité.
La vraie Éliane aura droit à un hommage un
peu plus loin : « Celle qui
était la plus belle cette année là. » ; pendant que le
commentaire cite le panégyrique de Bernard de Clairvaux : « […] Elle
fuit, elle fuit comme un fantôme […]. ». Elle réapparaîtra, comme il se doit : « La même revient. » au moment où Debord mentionne pour la
première fois le palindrome dont il donne la traduction qui suit:
« Nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes dévorés par le
feu. »
Le début de la citation du panégyrique de
Bernard de Clairvaux : « Bernard, que prétends-tu dans le
monde ? […] » est associé à une photo de Debord à vingt ans. Elle se
situe à la suite de celles des « égaux » — « […] Qu’est-ce que
l’amitié ? L’égalité des amis. » — : Ivan Chtcheglov, Gil J
Wolman, Robert Fonta, et Ghislain de Marbaix dans laquelle Debord vient prendre
sa place. Mais on sait qu’il était « plus égal que les autres. »
(À suivre)
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